Tribune « Le régime de vérité scientifique suppose d’être à l’abri des pressions de tous ordres »

Chères et chers collègues,

H2C est signataire de la tribune intitulée « Le régime de vérité scientifique suppose d’être à l’abri des pressions de tous ordres » saluant la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur, parue dans le journal Le Monde daté du 16 avril.

Cette tribune, que vous trouverez ci-dessous, est ouverte à la signature jusqu’au passage en commission paritaire mixte du Projet de loi de simplification de la vie économique. Vous pouvez vous y associer via ce lien : rogueesr.fr/category/billets/#sign

Répondant à un souhait très largement exprimé par les universitaires et les chercheurs, les députés ont validé la suppression du Haut Conseil de l’évaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur (Hcéres) après des années de paupérisation, de bureaucratisation, dans le cadre du « Projet de loi de simplification de la vie économique ». Les missions de l’université et de la recherche scientifique supposent de démêler deux notions confondues sous le vocable d’« évaluation » : l’évaluation des enseignements et des travaux scientifiques et l’évaluation des politiques publiques.
L’évaluation des travaux scientifiques fait partie du quotidien des chercheuses et des chercheurs. Le régime de vérité scientifique, fondé sur la preuve et sur la critique mutuelle, suppose d’être à l’abri des pressions de tous ordres. Par la nature même de leur activité, universitaires et chercheurs doivent disposer d’une autonomie vis-à-vis des pouvoirs politiques, économiques et religieux. C’est la raison pour laquelle les laboratoires et les formations doivent être évalués par des chercheurs et des universitaires en activité, selon des normes propres à l’Université et la recherche.
L’évaluation des politiques publiques ou des décisions prises par les présidences des établissements est destinée quant à elle à apporter aux parlementaires et aux citoyens une information transparente et objective, afin d’améliorer la qualité globale du service public. Pour des raisons démocratiques, cette évaluation ne doit pas être soumise au pouvoir politique, ni directement — par le ministère — ni indirectement — par le Hcéres ou toute autre instance dont l’indépendance ne serait que de façade. C’est le sens judicieux de l’obligation européenne d’évaluation de l’enseignement supérieur et de la recherche par une autorité indépendante.
Or, le Hcéres, dont la direction est souvent proche du pouvoir exécutif, est très directement lié au pouvoir politique. Cette dépendance en a fait l’outil central d’un projet bureaucratique plus global de « gouvernement par agences » qui a entraîné déclin scientifique et technique, aggravé l’échec des politiques de réussite et d’insertion, et favorisé l’essor d’un secteur privé lucratif de qualité médiocre échappant à toute évaluation publique.
La faillite politique et morale du Hcéres est confirmée par la Cour des comptes, qui souligne la lourdeur et l’utilité « marginale » de ses rapports, tout en déplorant l’absence de « réel effort de maîtrise de ses dépenses » — rappelons que le budget annuel du Hcéres était de 24 millions d’euros pour 2024. Le Hcéres a multiplié les procédures opaques, chronophages, et parfois absurdes, utilisant des indicateurs contraires aux normes scientifiques et universitaires. Les tentatives de simplification et de rationalisation de cette institution ont précipité la catastrophe de la « vague E », ruinant sa réputation et sa légitimité auprès des universitaires et du grand public. En plus d’avoir réécrit les avis des évaluateurs, la direction du Hcéres a donné à voir toute l’injustice des critères d’accréditation des formations : taux d’insertion professionnelle trop bas des jeunes dans les territoires défavorisés, taux de poursuite trop élevé des études au sortir d’IUT, impossibilité pour la philosophie d’entrer dans les normes bureaucratiques ubuesques de l’agence d’évaluation, entre autres. Aucun de ces critères ne reflète la qualité de l’enseignement dispensé, mais seulement la conséquence de situations géographiques particulières, de spécificités disciplinaires ou de réformes incohérentes. Le Hcéres étant devenu irréformable, inutile pour les uns et nuisible pour les autres, il fallait le supprimer.
Le ministre lui-même ne croit plus au Hcéres : preuve en est l’annonce, le 8 avril, du projet de soumettre la totalité des subventions des établissements d’enseignement supérieur et de recherche à la signature d’un contrat d’objectifs, de moyens et de performances (COMP) avec l’État. Au contraire de répondre au besoin pressant de financements pérennes du travail académique, ces COMP conditionnent les budgets à l’arbitraire d’objectifs chiffrés, tels que le taux de diplomation en trois ans, l’insertion professionnelle à 12 mois ou, pourquoi pas, le nombre de publications scientifiques. En phase d’austérité, il s’agit d’un projet de soumission illibérale de l’université et de la recherche à des priorités gouvernementales pouvant varier arbitrairement, édictées en tout cas sans débat ni transparence. Pire encore, les COMP retournent contre les formations et les laboratoires les manquements de l’action publique et l’inconséquence des choix politiques gouvernementaux. Cette réforme parachève l’inféodation de l’Université et de la recherche au pouvoir politique. Cette nouvelle atteinte au principe d’autonomie et à la liberté académique est particulièrement inquiétante dans un contexte international marqué par les attaques menées par Elon Musk et Donald Trump contre les sciences et la démocratie.
La suppression du Hcéres n’est pas un saut dans l’inconnu : elle ouvre au contraire la voie à la reconstruction des normes probatoires mises à mal, mais aussi à un débat démocratique sur le rôle de l’université et de la recherche dans l’espace politique. Mieux, elle porte l’espoir de tourner la page de vingt ans de paupérisation et de promotion d’une « excellence » auto-proclamée et anachronique, dont il est vérifiable qu’elle n’a porté aucun fruit. Il faut en finir aussi bien avec l’inertie institutionnelle qu’avec le corset technocratique imposé par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il suffit pour cela de prolonger toutes les accréditations actuelles de deux ans et de profiter de ce délai de latence pour construire, en s’appuyant sur l’expérience de la communauté, un nouveau système collégial de probation académique, ainsi qu’un dispositif transparent de contrôle des politiques scientifiques et universitaires. C’est à ces seules conditions que la France pourra, enfin, instaurer la liberté et la responsabilité de la recherche et de l’Université.

Le bureau d’H2C