Colloque Henri Saint-Simon, le fondateur des fondateurs, 16 et 17 mai 2025
*COLLOQUE HENRI SAINT-SIMON, LE FONDATEUR DES FONDATEURS* *16 ET 17 MAI 2025*
. BnF – Bibliothèque de l’Arsenal, 1 rue de Sully, à Paris 4e le vendredi 16 mai (9h 15-19h)
. Chapelle de l’Humanité, 5 rue Payenne à Paris 3e le samedi 17 mai (9h 30-18h) – *réservation obligatoire pour ce jour: auguste.comte.paris@gmail.com <auguste.comte.paris@gmail.com>*
Expositions en parallèle à la Bibliothèque de l’Arsenal & à la Maison Auguste Comte, 10 rue Monsieur le Prince, Paris 6e
*Vendredi 16 mai – 9h15-19h – Bibliothèque de l’Arsenal*
Philippe RÉGNIER, CNRS histoire littéraire, IHRIM Saint-Simon à l’heure de sa mort : qu’incarne-t-il pour la jeunesse de 1825 ?
La très grande majorité des contemporains de ce philosophe au nom aussi étrange que beau n’étaient probablement pas beaucoup plus ni bien mieux informés de ses idées et de son parcours que nos propres contemporains de ce premier quart du XXIe siècle. Qui est-il au juste et en substance ? De quelle réputation est-il auréolé ou chargé ? Où le situe-on/se situe-t-il dans le champ des idées philosophiques, politiques, sociales ? Comment expliquer que son nom soit appelé à devenir un signe de ralliement pour des centaines et des centaines de jeunes intellectuels, d’ouvriers et de femmes ardemment désireux de changer le monde au lendemain de juillet 1830 ? Autant de questions actuelles en 2025.
Jean DHOMBRES, EHESS, histoire des sciences Dynamiques des sciences du temps « scientifique » de Saint-Simon
Saint-Simon s’est systématiquement informé sur les sciences de son temps par l’intermédiaire de quelques jeunes acteurs savants, eux-mêmes interprétant les bilans annuels de la Ière classe de l’Institut, qui depuis 1795 remplaçait l’Académie des sciences dissoute en août 1793. La tonalité, non moins brillante, avait changé par rapport à ce qui se faisait dans les dernières années de l’Ancien Régime, combinant à la fois l’idée d’un système entrepreneurial au service de la Nation, et d’une « connaissance » audacieuse, et universelle, au nom d’un élan nouveau. Saint-Simon témoigne de plus qu’une entrée de l’actualité scientifique dans la vie française, largement absente auparavant, mais que manifestent un Alexander von Humboldt, et la Société d’Arcueil dirigée par des anciens au service de bien plus jeunes. Cependant, minorant l’effet du Directoire et de la période napoléonienne pour les sciences, et prônant la continuité sans hiatus avec les Lumières, l’épistémologie d’aujourd’hui peut contester la pertinence des analyses faites, notamment dans les cinq rapports à l’Empereur sur l’état des savoirs, et largement attribuer le rebond français, industriel comme scientifique, à la Restauration venue après. Est-ce une simple question de tempo ? D’autant que la première décennie reste indécise sur le plan philosophique entre une absence d’influence de Kant qui fixait le progrès selon l’organisation des seules sciences physico-mathématiques, et avant la synthèse due à Auguste Comte en 1830, qui ajoutera le front des sciences de la vie et celui de la sociologie. Mais il ne faut pas minorer le progrès tout autrement présenté par cumulation à la façon de Condorcet, la mise en doute des thèses condillaciennes, sans cacher les difficultés liées aux guerres napoléoniennes. L’histoire de l’enseignement scientifique et technique manifeste pourtant la vitalité des institutions révolutionnaires, lesquelles permirent enfin en France une carrière scientifique, pensons à Biot, Arago, Poisson, Bichat, Alibert ou même Pinel, et ouvrirent la conception véritablement nouvelle d’un « ingénieur-savant », mais aussi celle d’un « médecin chercheur expérimental ». Si en m’aidant de ce que Saint-Simon put percevoir comme tendances, mon objectif est bien un nouveau regard sur les sciences et les techniques des années « scientifiques » de Saint-Simon, soit 1798-1813, je peux éviter de voir cette période comme une simple préparation à ce qui allait advenir dans un tout autre contexte politique.
Sayuri SHIRASE, docteure en philosophie, JSPS Research Fellow Saint-Simon et le Japon. Réception de la doctrine de l’ère Meiji à nos jours
Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, certains intellectuels japonais ont déjà commencé à étudier diverses doctrines de socialistes français, y compris celle de Saint-Simon. Afin d’éclairer les moments et les contextes dans lesquels les Japonais se sont intéressés au penseur français, nous nous proposons de revenir sur l’histoire de l’accueil de ses idées. Pour les intellectuels proches du gouvernement de Meiji, les propositions de Saint-Simon font partie des doctrines potentiellement dangereuses et nuisibles à l’ordre social et au régime politique. À l’inverse, pour les intellectuels de gauche, ses idées font l’objet d’analyses en vue de cerner la nature des problèmes sociaux et d’entreprendre la réforme sociale. Puis, l’intérêt pour la pensée de Saint-Simon est resté constant durant le XXe siècle, comme le montrent les travaux de Hiroshi Mori, en particulier sa publication de la quasi-totalité des œuvres de Saint-Simon dans les années 1980. En examinant les intellectuels et les universitaires principaux qui ont contribué aux études sur Saint- Simon, nous mettrons en lumière le contexte intellectuel et social des différentes époques concernées ainsi que la place attribuée à ce penseur.
Diane MORGAN, université de Leeds UK, cultural studies, La figure du dernier homme et la fin du monde chez Saint-Simon
Autour de la figure si troublante « du dernier homme mourant après avoir bu la dernière goutte d’eau du globe ». Je trouve intriguant le fait que The Last Man de Mary Shelley a été publié dix ans après le «Mémoire sur la science de l’homme». En outre il y a actuellement beaucoup d’écrits qui, en s’adressant à la crise climatique, préconisent l’importance et l’urgence de reconnaître et penser la planète définie comme « le monde sans nous », ou pour reprendre les mots de Saint-Simon, la planète « quand elle ne sera plus habitable [par nous] ». Il me semble qu’il y a des ressources chez Saint-Simon pour prolonger cette réflexion autour du décentrement de l’humain, tout en tenant compte de la centralité de l’eau (et des fluides en général) dans ses œuvres.
Dominique IOGNA-PRAT, EHESS, histoire Saint-Simon en quête d’un « christianisme définitif »
Dans un passage de son Système industriel (1821), Saint-Simon dit vouloir travailler à l’élaboration d’un « nouveau système de société » sans révolution brusque en faisant sa place au roi dans le cadre d’une «vraie» constitution politique. Pour incorporer cette manière de royauté constitutionnelle au système, il se réfère à la notion ancienne de « roi très chrétien » pour soutenir la nécessité d’un retour au christianisme des origines devenu constitution politique. Un pareil christianisme de frères dans le partage des biens accordés par Dieu à tous les hommes serait rendu « définitif » et « complet » par l’instauration de la constitution en lieu et place de la Charte. Le roi, en quelque sorte clé de voûte de la structure sociale, serait la figure porteuse d’une religion fécondée par le pouvoir spirituel passé du clergé catholique « à une autre classe plus éclairée » en charge de l’opinion et de l’éducation. Société et religion vont ainsi de pair chez Saint-Simon parce qu’il s’agit de montrer, en puisant dans les ressorts profonds du christianisme, comment il est possible, en une forme d’eucharistie sociale, de produire la colle symbolique permettant de faire système.
Pierre MUSSO, université de Rennes et Télécom Paris L’énigme Saint-Simon et la religion industrielle
L’œuvre de Saint-Simon a ouvert tous les possibles dans une période elle-même marquée par un entrechoquement de « révolutions » politiques, scientifique et industrielle. Cette œuvre demeure ouverte à de multiples interprétations et présente une énigme persistante sur la multiplicité contradictoire de ses héritiers. Pour les uns, Saint-Simon est le père du socialisme, pour d’autres celui de l’anarchisme, ou inversement du totalitarisme, pour d’autres encore, du libéralisme, du positivisme et bien sûr, du saint- simonisme. Au XXe siècle, il est devenu le père du management et de la technocratie ou le théoricien de la « société techno-industrielle ». Comment expliquer une telle diversité des philosophies et des idéologies qui ont pu s’en réclamer ? Cette multiplicité d’interprétations, souvent divergentes, est l’indice de la richesse de cette œuvre. En effet, elle a produit un ensemble de concepts, une matrice du changement social et même la vision du monde qui fait tenir la « société industrielle ».
*Samedi 17 mai – 9h30-18h – Chapelle de l’Humanité*
Michel BOURDEAU, CNRS Auguste Comte, saint-simonien?
On connait l’injustice de Comte envers celui dont il fut pendant sept ans le secrétaire. Depuis, la question de savoir si Comte doit ou non être considéré comme un saint-simonien continue de diviser les interprètes. D’un côté, ceux qui, comme Durkheim ou Hayek voient dans Comte un saint-simonien parmi d’autres; de l’autre, ceux qui, comme Pierre Lafitte ou Henri Gouhier entendent souligner la profonde originalité du fondateur du positivisme. La question est rendue compliquée par l’équivoque du terme saint-simonisme. Ceux qui l’emploient se réfèrent le plus souvent aux saint-simoniens, beaucoup plus qu’à Saint-Simon lui-même. A cela s’ajoute que les plus connus des saint-simoniens, à la différence de Comte, n’avaient pas connu « le Père Simon ». J’évoquerai deux épisodes qui illustrent cette situation : la séance de l’Exposition consacrée au Plan de 1822, lors de laquelle les orateurs reconnaissent que c’est dans cet ouvrage qu’ils ont découvert la pensée de Saint-Simon; la correspondance échangée en 1832 entre Comte et Michel Chevalier et Armand Marrast. J’aborderai ensuite la question des attributions, toujours ouverte. Je terminerai en cherchant à répondre à la question la plus importante : qu’est-ce que Comte doit à Saint-Simon ? Pendant plusieurs années, les deux hommes ont été très proches mais on ne dispose malheureusement de presque aucun document sur la nature exacte de ce que pouvaient être alors leurs échanges. Une fois rappelé que c’est chez Saint-Simon que Comte a trouvé la nécessité de rétablir un pouvoir spirituel, y compris l’intérêt accordé aux penseurs rétrogrades, ou encore l’idée de société industrielle, je montrerai les difficultés auxquelles se heurte l’entreprise, une influence en retour de l’élève sur le maître n’étant pas à exclure.
Jan E.M. HOUBEN, Ecole Pratique des Hautes Etudes Saint-Simon, ‘militant’ de la non-violence, et la paix
Saint-Simon fut un penseur et un activiste transformateur non-violent qui rejeta la violence comme moyen après avoir constaté les échecs de la Révolution française. Il affirmait que la violence ne faisait que réorganiser les structures de pouvoir sans engendrer de changement durable. À la place, il prônait une transformation sociale fondée sur le progrès industriel, l’avancée scientifique et la persuasion communicationnelle. Saint-Simon s’opposait au système féodal-militaire et proposait une transition vers une société industrielle régie par la coopération, le travail et une administration rationnelle. Convaincu que l’opinion publique, plutôt que la force, était le moteur du véritable changement, il insistait sur l’éducation et la persuasion pacifique. Contrairement à des penseurs ultérieurs comme Marx et Sorel, qui justifiaient et même glorifiaient la violence révolutionnaire, Saint-Simon considérait la non-violence comme indispensable à un progrès pérenne. Ses idées influencèrent la sociologie (via Auguste Comte et Durkheim), la technocratie et même l’anarchisme (par l’intermédiaire de Proudhon). Toutefois, sa vision de dirigeants industriels guidant la société ne prenait pas en compte certaines complexités modernes telles que le complexe militaro-industriel. D’un point de vue comparatif, il devrait être possible de comparer l’activisme non-violent de Saint-Simon avec la philosophie de la résistance non-violente du Mahatma Gandhi, qui s’ était inspiré également de penseurs occidentaux. La pertinence de Saint-Simon persiste ou devrait persister dans les débats contemporains sur l’agir communicationnel (Habermas) et l’activisme non-violent. Si certaines de ses idées se sont concrétisées – comme l’influence industrielle sur la gouvernance –, il sous-estima des défis tels que le militarisme corporatif. Son recours à des « mèmes » (récits imaginatifs concis pour la persuasion de masse) anticipe les stratégies des réseaux sociaux modernes, témoignant de sa pensée visionnaire.
Laurent FEDI, université de Strasbourg, philosophie Le temps des prophètes : le dernier Comte et les saint-simoniens
On connaît les critiques sévères d’Auguste Comte à l’encontre de Saint-Simon et des saint-simoniens. Une partie de ces critiques portait au début sur la religion, mais Comte en est finalement venu, lui aussi, à fonder une religion. Certes, les différences sont notables, mais on ne s’est peut-être pas assez attardé sur les similitudes. Or celles-ci sont parfois troublantes, surtout après le tournant conservateur du positivisme. Comte développe comme les saint-simoniens une religion politique qui embrasse tous les aspects de l’organisation sociale. Comme eux, il réhabilite la théocratie. Comme eux encore, il inclut la fonction esthétique dans les fonctions sacerdotales, réalisant à la fin de sa vie ce que Paul Bénichou avait identifié comme la naissance d’un « sacerdoce poétique ». Mais comment interpréter ce parallélisme ? Rapport d’influence ou simple convergence sur fond de problématiques communes ?
Marie JANIN doctorante et Thérence CARVALHO, université de Nantes, droit et pensée politique Le Droit comme instrument du « Nouveau Christianisme » : la pensée juridique de Saint-Simon et sa diffusion en Europe par l’école saint-simonienne.
Il s’agira d’explorer les aspects juridiques de la pensée de Saint-Simon et son interprétation par ses disciples. Au fond, comment le droit est appréhendé par Saint-Simon ? Quelle est sa place dans sa « science générale » ? Quels sont les apports et différences apportés par ses élèves (notamment Prosper Enfantin qui, en dépit de ses ambitions, est peut-être le saint-simonien le moins fidèle). Enfin, nous évoquerons la réception de leurs idées dans les réformes juridiques menées en Europe à travers quelques exemples significatifs.
Antoine PICON, histoire, Harvard Graduate School of Design. Régénérer la connaissance : Saint-Simon, les Saint-simoniens et la Science
Mary PICKERING, histoire, San Jose State University L’idée du « peuple » dans les œuvres de Saint-Simon et Auguste Comte
Je vais examiner la tension entre le peuple et les élites dans leurs philosophies. Comment est-ce que ces deux hommes ont imaginé le sens commun et le rôle des experts ? Est-ce que Comte, qui avait une formation plus formelle que son mentor, avait une approche différente de celle de Saint-Simon et pourquoi ? Saint-Simon et Comte ont tous deux cherché à concilier la participation du peuple avec la direction par les élites, une problématique au centre des débats contemporains.
— David Labreure Maison d’Auguste Comte Directeur du musée et des archives 10, rue Monsieur-le-Prince, 75006 Paris 01 43 26 08 56 / 06 86 45 08 30 auguste.comte.paris@gmail.com
. BnF – Bibliothèque de l’Arsenal, 1 rue de Sully, à Paris 4e le vendredi 16 mai (9h 15-19h)
. Chapelle de l’Humanité, 5 rue Payenne à Paris 3e le samedi 17 mai (9h 30-18h) – *réservation obligatoire pour ce jour: auguste.comte.paris@gmail.com <auguste.comte.paris@gmail.com>*
Expositions en parallèle à la Bibliothèque de l’Arsenal & à la Maison Auguste Comte, 10 rue Monsieur le Prince, Paris 6e
*Vendredi 16 mai – 9h15-19h – Bibliothèque de l’Arsenal*
Philippe RÉGNIER, CNRS histoire littéraire, IHRIM Saint-Simon à l’heure de sa mort : qu’incarne-t-il pour la jeunesse de 1825 ?
La très grande majorité des contemporains de ce philosophe au nom aussi étrange que beau n’étaient probablement pas beaucoup plus ni bien mieux informés de ses idées et de son parcours que nos propres contemporains de ce premier quart du XXIe siècle. Qui est-il au juste et en substance ? De quelle réputation est-il auréolé ou chargé ? Où le situe-on/se situe-t-il dans le champ des idées philosophiques, politiques, sociales ? Comment expliquer que son nom soit appelé à devenir un signe de ralliement pour des centaines et des centaines de jeunes intellectuels, d’ouvriers et de femmes ardemment désireux de changer le monde au lendemain de juillet 1830 ? Autant de questions actuelles en 2025.
Jean DHOMBRES, EHESS, histoire des sciences Dynamiques des sciences du temps « scientifique » de Saint-Simon
Saint-Simon s’est systématiquement informé sur les sciences de son temps par l’intermédiaire de quelques jeunes acteurs savants, eux-mêmes interprétant les bilans annuels de la Ière classe de l’Institut, qui depuis 1795 remplaçait l’Académie des sciences dissoute en août 1793. La tonalité, non moins brillante, avait changé par rapport à ce qui se faisait dans les dernières années de l’Ancien Régime, combinant à la fois l’idée d’un système entrepreneurial au service de la Nation, et d’une « connaissance » audacieuse, et universelle, au nom d’un élan nouveau. Saint-Simon témoigne de plus qu’une entrée de l’actualité scientifique dans la vie française, largement absente auparavant, mais que manifestent un Alexander von Humboldt, et la Société d’Arcueil dirigée par des anciens au service de bien plus jeunes. Cependant, minorant l’effet du Directoire et de la période napoléonienne pour les sciences, et prônant la continuité sans hiatus avec les Lumières, l’épistémologie d’aujourd’hui peut contester la pertinence des analyses faites, notamment dans les cinq rapports à l’Empereur sur l’état des savoirs, et largement attribuer le rebond français, industriel comme scientifique, à la Restauration venue après. Est-ce une simple question de tempo ? D’autant que la première décennie reste indécise sur le plan philosophique entre une absence d’influence de Kant qui fixait le progrès selon l’organisation des seules sciences physico-mathématiques, et avant la synthèse due à Auguste Comte en 1830, qui ajoutera le front des sciences de la vie et celui de la sociologie. Mais il ne faut pas minorer le progrès tout autrement présenté par cumulation à la façon de Condorcet, la mise en doute des thèses condillaciennes, sans cacher les difficultés liées aux guerres napoléoniennes. L’histoire de l’enseignement scientifique et technique manifeste pourtant la vitalité des institutions révolutionnaires, lesquelles permirent enfin en France une carrière scientifique, pensons à Biot, Arago, Poisson, Bichat, Alibert ou même Pinel, et ouvrirent la conception véritablement nouvelle d’un « ingénieur-savant », mais aussi celle d’un « médecin chercheur expérimental ». Si en m’aidant de ce que Saint-Simon put percevoir comme tendances, mon objectif est bien un nouveau regard sur les sciences et les techniques des années « scientifiques » de Saint-Simon, soit 1798-1813, je peux éviter de voir cette période comme une simple préparation à ce qui allait advenir dans un tout autre contexte politique.
Sayuri SHIRASE, docteure en philosophie, JSPS Research Fellow Saint-Simon et le Japon. Réception de la doctrine de l’ère Meiji à nos jours
Depuis la seconde moitié du XIXe siècle, certains intellectuels japonais ont déjà commencé à étudier diverses doctrines de socialistes français, y compris celle de Saint-Simon. Afin d’éclairer les moments et les contextes dans lesquels les Japonais se sont intéressés au penseur français, nous nous proposons de revenir sur l’histoire de l’accueil de ses idées. Pour les intellectuels proches du gouvernement de Meiji, les propositions de Saint-Simon font partie des doctrines potentiellement dangereuses et nuisibles à l’ordre social et au régime politique. À l’inverse, pour les intellectuels de gauche, ses idées font l’objet d’analyses en vue de cerner la nature des problèmes sociaux et d’entreprendre la réforme sociale. Puis, l’intérêt pour la pensée de Saint-Simon est resté constant durant le XXe siècle, comme le montrent les travaux de Hiroshi Mori, en particulier sa publication de la quasi-totalité des œuvres de Saint-Simon dans les années 1980. En examinant les intellectuels et les universitaires principaux qui ont contribué aux études sur Saint- Simon, nous mettrons en lumière le contexte intellectuel et social des différentes époques concernées ainsi que la place attribuée à ce penseur.
Diane MORGAN, université de Leeds UK, cultural studies, La figure du dernier homme et la fin du monde chez Saint-Simon
Autour de la figure si troublante « du dernier homme mourant après avoir bu la dernière goutte d’eau du globe ». Je trouve intriguant le fait que The Last Man de Mary Shelley a été publié dix ans après le «Mémoire sur la science de l’homme». En outre il y a actuellement beaucoup d’écrits qui, en s’adressant à la crise climatique, préconisent l’importance et l’urgence de reconnaître et penser la planète définie comme « le monde sans nous », ou pour reprendre les mots de Saint-Simon, la planète « quand elle ne sera plus habitable [par nous] ». Il me semble qu’il y a des ressources chez Saint-Simon pour prolonger cette réflexion autour du décentrement de l’humain, tout en tenant compte de la centralité de l’eau (et des fluides en général) dans ses œuvres.
Dominique IOGNA-PRAT, EHESS, histoire Saint-Simon en quête d’un « christianisme définitif »
Dans un passage de son Système industriel (1821), Saint-Simon dit vouloir travailler à l’élaboration d’un « nouveau système de société » sans révolution brusque en faisant sa place au roi dans le cadre d’une «vraie» constitution politique. Pour incorporer cette manière de royauté constitutionnelle au système, il se réfère à la notion ancienne de « roi très chrétien » pour soutenir la nécessité d’un retour au christianisme des origines devenu constitution politique. Un pareil christianisme de frères dans le partage des biens accordés par Dieu à tous les hommes serait rendu « définitif » et « complet » par l’instauration de la constitution en lieu et place de la Charte. Le roi, en quelque sorte clé de voûte de la structure sociale, serait la figure porteuse d’une religion fécondée par le pouvoir spirituel passé du clergé catholique « à une autre classe plus éclairée » en charge de l’opinion et de l’éducation. Société et religion vont ainsi de pair chez Saint-Simon parce qu’il s’agit de montrer, en puisant dans les ressorts profonds du christianisme, comment il est possible, en une forme d’eucharistie sociale, de produire la colle symbolique permettant de faire système.
Pierre MUSSO, université de Rennes et Télécom Paris L’énigme Saint-Simon et la religion industrielle
L’œuvre de Saint-Simon a ouvert tous les possibles dans une période elle-même marquée par un entrechoquement de « révolutions » politiques, scientifique et industrielle. Cette œuvre demeure ouverte à de multiples interprétations et présente une énigme persistante sur la multiplicité contradictoire de ses héritiers. Pour les uns, Saint-Simon est le père du socialisme, pour d’autres celui de l’anarchisme, ou inversement du totalitarisme, pour d’autres encore, du libéralisme, du positivisme et bien sûr, du saint- simonisme. Au XXe siècle, il est devenu le père du management et de la technocratie ou le théoricien de la « société techno-industrielle ». Comment expliquer une telle diversité des philosophies et des idéologies qui ont pu s’en réclamer ? Cette multiplicité d’interprétations, souvent divergentes, est l’indice de la richesse de cette œuvre. En effet, elle a produit un ensemble de concepts, une matrice du changement social et même la vision du monde qui fait tenir la « société industrielle ».
*Samedi 17 mai – 9h30-18h – Chapelle de l’Humanité*
Michel BOURDEAU, CNRS Auguste Comte, saint-simonien?
On connait l’injustice de Comte envers celui dont il fut pendant sept ans le secrétaire. Depuis, la question de savoir si Comte doit ou non être considéré comme un saint-simonien continue de diviser les interprètes. D’un côté, ceux qui, comme Durkheim ou Hayek voient dans Comte un saint-simonien parmi d’autres; de l’autre, ceux qui, comme Pierre Lafitte ou Henri Gouhier entendent souligner la profonde originalité du fondateur du positivisme. La question est rendue compliquée par l’équivoque du terme saint-simonisme. Ceux qui l’emploient se réfèrent le plus souvent aux saint-simoniens, beaucoup plus qu’à Saint-Simon lui-même. A cela s’ajoute que les plus connus des saint-simoniens, à la différence de Comte, n’avaient pas connu « le Père Simon ». J’évoquerai deux épisodes qui illustrent cette situation : la séance de l’Exposition consacrée au Plan de 1822, lors de laquelle les orateurs reconnaissent que c’est dans cet ouvrage qu’ils ont découvert la pensée de Saint-Simon; la correspondance échangée en 1832 entre Comte et Michel Chevalier et Armand Marrast. J’aborderai ensuite la question des attributions, toujours ouverte. Je terminerai en cherchant à répondre à la question la plus importante : qu’est-ce que Comte doit à Saint-Simon ? Pendant plusieurs années, les deux hommes ont été très proches mais on ne dispose malheureusement de presque aucun document sur la nature exacte de ce que pouvaient être alors leurs échanges. Une fois rappelé que c’est chez Saint-Simon que Comte a trouvé la nécessité de rétablir un pouvoir spirituel, y compris l’intérêt accordé aux penseurs rétrogrades, ou encore l’idée de société industrielle, je montrerai les difficultés auxquelles se heurte l’entreprise, une influence en retour de l’élève sur le maître n’étant pas à exclure.
Jan E.M. HOUBEN, Ecole Pratique des Hautes Etudes Saint-Simon, ‘militant’ de la non-violence, et la paix
Saint-Simon fut un penseur et un activiste transformateur non-violent qui rejeta la violence comme moyen après avoir constaté les échecs de la Révolution française. Il affirmait que la violence ne faisait que réorganiser les structures de pouvoir sans engendrer de changement durable. À la place, il prônait une transformation sociale fondée sur le progrès industriel, l’avancée scientifique et la persuasion communicationnelle. Saint-Simon s’opposait au système féodal-militaire et proposait une transition vers une société industrielle régie par la coopération, le travail et une administration rationnelle. Convaincu que l’opinion publique, plutôt que la force, était le moteur du véritable changement, il insistait sur l’éducation et la persuasion pacifique. Contrairement à des penseurs ultérieurs comme Marx et Sorel, qui justifiaient et même glorifiaient la violence révolutionnaire, Saint-Simon considérait la non-violence comme indispensable à un progrès pérenne. Ses idées influencèrent la sociologie (via Auguste Comte et Durkheim), la technocratie et même l’anarchisme (par l’intermédiaire de Proudhon). Toutefois, sa vision de dirigeants industriels guidant la société ne prenait pas en compte certaines complexités modernes telles que le complexe militaro-industriel. D’un point de vue comparatif, il devrait être possible de comparer l’activisme non-violent de Saint-Simon avec la philosophie de la résistance non-violente du Mahatma Gandhi, qui s’ était inspiré également de penseurs occidentaux. La pertinence de Saint-Simon persiste ou devrait persister dans les débats contemporains sur l’agir communicationnel (Habermas) et l’activisme non-violent. Si certaines de ses idées se sont concrétisées – comme l’influence industrielle sur la gouvernance –, il sous-estima des défis tels que le militarisme corporatif. Son recours à des « mèmes » (récits imaginatifs concis pour la persuasion de masse) anticipe les stratégies des réseaux sociaux modernes, témoignant de sa pensée visionnaire.
Laurent FEDI, université de Strasbourg, philosophie Le temps des prophètes : le dernier Comte et les saint-simoniens
On connaît les critiques sévères d’Auguste Comte à l’encontre de Saint-Simon et des saint-simoniens. Une partie de ces critiques portait au début sur la religion, mais Comte en est finalement venu, lui aussi, à fonder une religion. Certes, les différences sont notables, mais on ne s’est peut-être pas assez attardé sur les similitudes. Or celles-ci sont parfois troublantes, surtout après le tournant conservateur du positivisme. Comte développe comme les saint-simoniens une religion politique qui embrasse tous les aspects de l’organisation sociale. Comme eux, il réhabilite la théocratie. Comme eux encore, il inclut la fonction esthétique dans les fonctions sacerdotales, réalisant à la fin de sa vie ce que Paul Bénichou avait identifié comme la naissance d’un « sacerdoce poétique ». Mais comment interpréter ce parallélisme ? Rapport d’influence ou simple convergence sur fond de problématiques communes ?
Marie JANIN doctorante et Thérence CARVALHO, université de Nantes, droit et pensée politique Le Droit comme instrument du « Nouveau Christianisme » : la pensée juridique de Saint-Simon et sa diffusion en Europe par l’école saint-simonienne.
Il s’agira d’explorer les aspects juridiques de la pensée de Saint-Simon et son interprétation par ses disciples. Au fond, comment le droit est appréhendé par Saint-Simon ? Quelle est sa place dans sa « science générale » ? Quels sont les apports et différences apportés par ses élèves (notamment Prosper Enfantin qui, en dépit de ses ambitions, est peut-être le saint-simonien le moins fidèle). Enfin, nous évoquerons la réception de leurs idées dans les réformes juridiques menées en Europe à travers quelques exemples significatifs.
Antoine PICON, histoire, Harvard Graduate School of Design. Régénérer la connaissance : Saint-Simon, les Saint-simoniens et la Science
Mary PICKERING, histoire, San Jose State University L’idée du « peuple » dans les œuvres de Saint-Simon et Auguste Comte
Je vais examiner la tension entre le peuple et les élites dans leurs philosophies. Comment est-ce que ces deux hommes ont imaginé le sens commun et le rôle des experts ? Est-ce que Comte, qui avait une formation plus formelle que son mentor, avait une approche différente de celle de Saint-Simon et pourquoi ? Saint-Simon et Comte ont tous deux cherché à concilier la participation du peuple avec la direction par les élites, une problématique au centre des débats contemporains.
— David Labreure Maison d’Auguste Comte Directeur du musée et des archives 10, rue Monsieur-le-Prince, 75006 Paris 01 43 26 08 56 / 06 86 45 08 30 auguste.comte.paris@gmail.com