Journées d’études – Militer au quotidien au temps des dictatures (Besançon, 8 octobre 2025)

Chères et chers collègues,
Nous avons le plaisir de vous annoncer l’appel à communication pour les journées d’études suivantes :
Militer au quotidien.
Hommes et femmes dans les partis et organisations fascistes au temps des dictatures en Europe de l’entre-deux-guerres à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le projet est coordonné par Paul Dietschy, Marie-Bénédicte Vincent et Nicolas Patin ; les propositions sont attendues pour le 31 mars 2025.
Toutes les informations sont disponibles ci-dessous.
Bien cordialement,
Paul Dietschy, Marie-Bénédicte Vincent et Nicolas Patin.
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La question de l’adhésion aux partis et organisations fascistes et du militantisme en leur sein dans l’Europe des dictatures est, malgré l’abondance de travaux historiques sur ces sujets, un champ de recherche encore largement ouvert. Dans les dernières années, deux approches ont été développées principalement pour l’Italie fasciste à partir de 1922 et l’Allemagne nazie à partir de 1933 :
D’une part, les historiens se sont intéressés au pouvoir charismatique des chefs fascistes et à ses effets. Pour l’Italie, Christopher Duggan[1] [1] a analysé les courriers envoyés au Duce témoignant de l’admiration suscitée par Mussolini, qui a conduit de nombreux Italiens à « croire, obéir, combattre ». Pour l’Allemagne, les travaux de Ian Kershaw sur le pouvoir charismatique de Hitler sont devenus des références[2] [2]. Au-delà des dictateurs, des biographies ont éclairé des parcours de hiérarques de ces régimes et de chefs du NSDAP (Parti national-socialiste des travailleurs allemands) et du PNF (Parti national fasciste). Pour l’Allemagne, les trajectoires de Hermann Göring, de Joseph Goebbels, de Heinrich Himmler, etc. montrent que ces figures de proue ont réussi à acquérir un immense pouvoir et que leur militantisme a débouché sur des carrières prestigieuses, transversales au parti et à l’État, et associées à de nombreux avantages matériels. Plus récemment, des biographies ont été consacrées à des dirigeants secondaires qui, par leur fidélité inconditionnelle, sont des rouages décisifs des régimes et contribuent à leur radicalisation, à l’instar d’Ernst Kaltenbrunner, ce dirigeant de la SS d’Autriche propulsé soudainement en janvier 1943 à la tête de l’Office central de Sûreté du Reich à Berlin[3] [3], ou d’Attilio Teruzzi[4] [4], un officier de l’armée coloniale ayant traversé tout le _ventennio_ et plus encore, puisqu’il milite depuis les débuts du fascisme milanais en 1919 et demeure fidèle à Mussolini après le 25 juillet 1943, même s’il n’occupe aucune charge sous la République de Salò. L’adhésion à une idéologie s’est doublée pour eux de la recherche d’avantages matériels. Il existe également de nombreux travaux proposographiques sur les élites dans les deux régimes, qu’il s’agisse de parlementaires[5] [5], de hauts fonctionnaires, de cadres de l’appareil policier et SS[6] [6], de chefs régionaux du parti ou de membres de l’administration civile[7] [7].
D’autre part, la recherche s’est intéressée aux partis et organisations de masse fascistes d’un point de vue sociologique ou macrosocial. Les travaux de référence de Jürgen Falter sur le vote et sur le parti nazi, analysés avec des outils statistiques, permettent de cerner les profils des électeurs et des militants en déconstruisant un certain nombre d’idées reçues[8] [8]. Les études sur les grandes organisations fascistes (de jeunesse, de travailleurs, de femmes, de loisirs, etc.) montrent comment le militantisme contrôlé par les instances partisanes fut un phénomène largement ancré dans les pays considérés, en traversant toutes leurs couches sociales et les générations, enfants compris (Antonio Gibelli a par exemple montré comment le régime savait jouer sur le narcissisme de jeunes garçons pour les embrigader dans les jeunesses fascistes[9] [9]).
Reste qu’entre ces deux types d’approches centrées soit sur les élites, soit sur la sociologie des partis et organisations, la question du militantisme des hommes et femmes ordinaires, au quotidien, à une échelle qui n’est plus celle d’une catégorie sociale ou d’une société, reste encore à creuser. Certes les sources sont moins abondantes que celles relatives aux élites du régime. Mais elles ne sont pas inexistantes. Il s’agit de comprendre, à l’échelle individuelle ou de petits groupes, quelles sont, d’une part, les raisons et les conditions de l’adhésion à un parti fasciste. Si l’engagement revêt une dimension idéologique, voire repose sur une croyance si l’on reprend l’analyse du fascisme comme nouvelle « religion politique », il répond aussi à la stratégie de l’intérêt bien compris, un intérêt individuel et/ou familial. Le sigle PNF en Italie n’a t-il pas été traduit dans les années 1930 par la formule « _Per necessità familiare_ », autrement dit une adhésion au parti dictée par des intérêts très matériels ? Ici ou là, on trouve dans des témoignages des raisons de l’adhésion, signe que des sources et des ego-documents existent pour explorer cette question complexe des raisons (plurielles) à l’engagement individuel. Ainsi, pour l’Italie, de Nuto Revelli : issu de la petite bourgeoisie provinciale de Cuneo, le chef de formations partisanes _Giustizia e Libertà_, évoque bien la force de séduction de cet embrigadement des corps, en soulignant que pour l’adolescent qu’il était avant la Seconde Guerre mondiale, « le fascisme et le sport étaient la même chose » et qu’il « était orgueilleux de ses rubans et de ses médailles » remportés lors des compétitions encadrées par la GIL, l’organisation fasciste de la jeunesse réformée en 1937[10] [10]. On pense aussi au fonds de Theodore Abel pour les premiers militants du parti hitlérien[11] [11]. C’est donc au niveau de l’adhésion des membres des partis et des organisations qui en dépendent que l’attention sera portée, en retrouvant le parcours et l’expérience d’individus qui ont pu, pour certains, occuper ensuite des responsabilités à différentes échelles.
Le projet se décompose concrètement en deux volets :
– on envisagera d’abord, à partir du choix de parcours individuels non encore étudiés et appartenant à divers milieux sociaux et géographiques, le contexte, les conditions et les raisons de l’adhésion au parti et à ses organisations supervisant notamment les loisirs et le sport. Il s’agira d’essayer de démêler les formes de la croyance de ces religions politiques (culte du chef, idéologie, rituels, dimension corporelle, anticommunisme et antisémitisme), mais aussi retrouver la carrière des militants et les bénéfices qu’ils ont pu en retirer dans leur vie professionnelle et personnelle, notamment sous la forme d’un militantisme familial. Il faudra ici distinguer la phase précédant l’arrivée au pouvoir des partis fascistes (quand adhérer revêt une prise de risque) de celle de l’installation et du fonctionnement de la dictature.
– on cherchera à identifier ensuite, les obligations et les pratiques nées de cette adhésion, notamment le port de l’uniforme ou de signes d’appartenance et surtout l’activité militante dans le calendrier annuel et hebdomadaire (_sabato fascista_ par exemple). La question des différences entre les formes de militantisme des hommes et des femmes sera posée. Autrement dit, on tentera de distinguer la part du militantisme dans la construction de l’identité sociale, familiale et personnelle de ces acteurs subalternes des partis et des régimes fascistes.
Pour résumer, le projet entend se pencher sur ce phénomène transversal en Europe que fut le militantisme fasciste dans l’entre-deux-guerres et la Seconde Guerre mondiale, en ne partant ni d’un point de vue surplombant (sources normatives et discours de propagande), ni macrosocial, mais des acteurs et des actrices, de leurs trajectoires et de leurs pratiques. C’est une histoire du militantisme au quotidien qui est visée. Si l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie occupent une place centrale dans le projet, celui-ci n’exclut pas des études portant sur des formations fascistes dans d’autres pays : Ustachis croates, Croix fléchées en Hongrie, Garde de Fer en Roumanie, Rex en Belgique, etc.
Concrètement, le projet, qui associe via ses porteurs l’Université de Franche-Comté et l’Université Bordeaux-Montaigne, se déploiera au cours de deux journées d’études :
-l’une le 8 octobre 2025 à Besançon (les frais de déplacement et d’hébergement seront en pris en charge par le Centre Lucien Febvre de l’UFC)
-l’autre en janvier 2026 à Bordeaux ou à Paris (la date sera précisée au printemps 2025)
Le projet débouchera sur une publication sous forme de dossier thématique dans une revue scientifique d’histoire ayant une visibilité sur internet.
Les propositions de communication (d’une page maximum) assorties d’un bref CV peuvent être adressées aux trois adresses ci-dessous avant le 31 mars 2025. Les candidatures de jeunes chercheuses et chercheurs sont particulièrement encouragées. Les langues de travail seront l’anglais et le français.
marie_benedicte.vincent_daviet@univ-fcomte.fr
paul.dietschy@univ-fcomte.fr
nicolas.patin@u-bordeaux-montaigne.fr
[1] [12] Christopher Duggan, _Fascist voices. An intimate history of Mussolini’s Italy_ (2012), traduction française : _Ils y ont cru. Une histoire intime de l’Italie de __Mussolini_, Paris, Flammarion, 2014.
[2] [13] Ian Kershaw, _Hitler : essai sur le charisme en politique_, Paris, Folio histoire, 2001.
[3] [14] Marie-Bénédicte Vincent, _Kaltenbrunner. Le successeur de Heydrich_, Paris, Perrin, 2022.
[4] [15] Victoria De Grazia, _Il perfetto fascista. Una storia d’amore, potere e moralità nell’Italia di Mussolini_, Einaudi, 2022.
[5] [16] Didier Musiedlak, _Parlementaires en chemise noire. Italie 1922-1943_, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007.
[6] [17] Michael Wildt_, Generation des Unbedingten. Das Führungskorps des Reichssicherheitshauptamtes, _Hambourg, Hamburger Edition, 2002_._
[7] [18] Markus Roth, _Herrenmenschen: Die deutschen Kreishauptleute im besetzten Polen – Karrierewege, Herrschaftspraxis und Nachgeschichte_, 2. Ed., Göttingen, Wallstein, 2009.
[8] [19] Jürgen W. Falter, _Hitlers Parteigenossen. Die Mitglieder der NSDAP 1919-1945_, Francfort/Main, Campus Verlag, 2020.
[9] [20] Antonio Gibelli, _Il popolo bambino. Infanzia e nazione dalla Grande Guerra a Salò_, Einaudi, 2005.
[10] [21] Nuto Revelli, _Le due guerre. Guerra fascista e guerra partigiana_, Einaudi, 2003, p. 14-15.
[11] [22] Wieland Giebel, _ »Warum ich Nazi wurde ». __Biogramme früher Nationalsozialisten : die einzigartige Sammlung des Theodore Abel._ Berlin, Berlin Story Verlag, 2018.
Links: —— [1] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn1 [2] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn2 [3] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn3 [4] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn4 [5] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn5 [6] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn6 [7] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn7 [8] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn8 [9] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn9 [10] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn10 [11] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftn11 [12] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref1 [13] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref2 [14] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref3 [15] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref4 [16] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref5 [17] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref6 [18] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref7 [19] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref8 [20] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref9 [21] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref10 [22] applewebdata://A9C26321-48F2-4F4A-9CA3-8E6FA3FA387A#_ftnref11