Les thèses soutenues en histoire contemporaine (2019-2023). Continuités et nouvelles tendances.

            Le présent travail a pour objectif de poursuivre le premier « bilan des thèses soutenues en histoire contemporaine »1, publié en janvier 2021. Ce dernier concernait les thèses soutenues entre 2014 et 2018 ; le présent article s’intéresse, en toute logique, au cinq années suivantes (2019-2023), en essayant de prolonger les réflexions, tout en affinant certaines analyses et indicateurs. On obtient ainsi un panorama complet, sur 10 ans, de recherches doctorales en histoire contemporaine.

            Un point sur la constitution du corpus : la présente recherche suit exactement la même méthodologie que le premier article, et il est donc nécessaire de s’y reporter pour comprendre la constitution du corpus et ses limites2. Cependant, il a paru important de mieux expliciter les limites entre les thèses soutenues en histoire contemporaine proprement dite (section 22 du CNU), et celles soutenues dans d’autres disciplines qui étaient intégrées aux listes des thèses de l’AHCESR/H2C. Cette clarification est rendue possible par une meilleure indexation sur le site « theses.fr », notamment, mais également par un travail plus minutieux de notre part. De ce fait, nous pouvons désormais mieux cerner la sous-population des thèses hors section 22, qui – on le verra – évolue souvent, selon les indicateurs choisis, de manière très différente. De même, en choisissant d’effectuer des croisements que nous n’avions pas réalisé dans la première analyse, nous obtenons des résultats très marqués sur les aires géographiques ou les périodes étudiées.

            Les effets de permanence – dans des années marquées par la pandémie de Covid, les confinements et les difficultés nombreuses rencontrées par les doctorant.es pendant ces crises – interrogent. Nous espérons, à travers ce travail, fournir un outil solide d’analyse des grandes tendances de la recherche doctorale en histoire, qui peut ainsi servir aussi bien aux directrices et directeurs de thèses qu’aux doctorant.es. 

Nombre de thèses soutenues

            Le premier article avait porté sur 969 thèses soutenues entre 2014 et 2018. Entre le 1er janvier 2019 et le 31 décembre 2023, ce sont 1169 thèses qui ont été soutenues.

            Cette augmentation de plus de 200 thèses sur 5 ans peut donner l’impression d’une forte croissance des recherches doctorales menées à leur terme. En réalité, il s’agit d’un biais dans la constitution du corpus : nous intégrons de plus en plus de thèses hors « histoire proprement dite » dans nos « listes des thèses soutenues » chaque année, et donc dans nos analyses. Cela répond à une très légitime ouverture disciplinaire vers la littérature, les langues, les études aréales, la science politique, la sociologie ou l’histoire de l’art. Dans le présent article, cependant, nous allons souvent les distinguer, pour mieux cerner les logiques propres à la discipline historique en tant que telle. 

            On obtient ainsi, en nombre de soutenance, le constat suivant pour les dix années passées (avec correctif pour les résultats donnés pour 2014-2018).

Thèses2014201520162017201820192020202120222023
Non 2285133358405116124
22188176154197204193153166188180
Non 22 (%)4,082,760,651,5013,9223,1120,7323,507,8440,79
TOTAL196181155200237251193217204304
Tableau n°1 – Thèses soutenues en histoire et dans les autres disciplines entre 2014 et 2023 (n=2138)

Si on se contente de lire les chiffres totaux, l’impression est à une hausse nette en 2023 ; en réalité, il s’agit simplement de l’intégration de 40% de thèses d’autres disciplines dans le corpus. Concernant l’histoire en tant que telle, le chiffre est plutôt à une stabilité, comme le montre le graphique suivant. 

Graphique n°1 – Nombre de thèses soutenues en histoire contemporaine entre 2014 et 2023 (n=880)

On perçoit ainsi mieux la baisse massive des soutenances en 2020 (-21%), certainement liée à la pandémie de Covid-19 et aux conditions du confinement, qui ont souvent vu le moment rituel de la soutenance avoir lieu dans ce pis-aller que sont les « visios ». On peut même proposer l’hypothèse que pour l’année 2021-2022, il y a pu avoir un effet de rattrapage des thèses, les doctorant.es ayant connu des difficultés majeures – elles furent nombreuses – tant dans l’accès aux archives, notamment à l’international, qu’à travers les conditions sociales et psychologiques de l’achèvement du doctorat. Cependant, sans disposer du nombre d’inscriptions en thèse (cette donnée disparaît du site « theses.fr » une fois la thèse soutenue), il est difficile de conclure. Même avec un recul sur 10 ans, il est donc compliqué de savoir si la tendance est véritablement baissière. Il semble plutôt que le nombre de thèses soutenues oscille entre 150 et 200, chaque année, de manière plutôt stable. 

            Du point de vue de la saisonnalité (la date de soutenance), il n’y a pas de changement en 2019-2023 par rapport aux cinq années précédentes : les deux derniers mois de l’année concentrent plus de 40% des soutenances. 

Graphique n°2 – Date de soutenance durant l’année (2019-2023, n=1169)

Moins de femmes ?

Nous avions analysé assez longuement le sex-ratio des cinq années précédentes. Pour 2019-2023, le constat semble presque identique, avec un équilibre presque stable entre thèses soutenues par des doctorantes et des doctorants.

20192020202120222023Total / Moy.
Femmes132919996143561
%52,5947,1545,6247,0646,8947,95
Hommes119102118108161608
%47,4152,8554,3852,9452,9652,01
Total2511932172043041169
Tableau n°2 – Sex-ratio des doctorants et doctorants pour les thèses soutenues (2019-2023, n=1169)

C’est au moment de la saisie que des disparités entre discipline nous sont apparues comme évidentes, et nous avons donc distingué l’histoire en tant que telle. Les disciplines comme l’histoire de l’art, les langues ou la littérature étant plus largement féminisées, le constat est donc très différent quand on se concentre uniquement sur l’histoire.

20192020202120222023Total / Moy.
Femmes9466698870387
%48,7043,1441,5746,8138,6743,93
Hommes998797100110493
%51,3056,8658,4353,1961,1156,02
Total193153166188180880
Tableau n°3 – Sex-ratio des doctorants et doctorants pour les thèses soutenues en histoire uniquement (2019-2023, n=880)

            La part des doctorantes est alors largement inférieure, passant sous les 40% pour 2023. Comment expliquer cette diminution, alors que dans nos précédents résultats (2014-2018), l’intégration des thèses d’autres disciplines était marginale ? On passe ainsi d’une part des femmes de 47% sur 5 ans, à 44% sur 5 ans, avec une chute à 39% en 2023. Certaines données confirment que l’histoire est une discipline plus masculine que d’autres au sein des sciences humaines et sociales. Ainsi, au sein de l’Université Bordeaux Montaigne, établissement sur lequel nous disposons de données, entre 2020 et 2024, la part de femmes au sein du département d’histoire, tous niveaux confondus (licence-master), oscille entre 42% et 45%, mais tombe à 35% pour la formation doctorale, dans un établissement où les femmes représentent, en 2023, 68% des effectifs3. Ces proportions se retrouvent dans d’autres universités4.

On peut le voir ici, lorsque l’on compare l’histoire avec les autres disciplines sélectionnées dans ce corpus, en gardant en tête que la petitesse des corpus étudiés ne permet pas de généraliser ces éléments. 

HistoireSociologieSciences politiquesHistoire de l’artLangues et littératuresÉtudes aréalesAutresTotal
Femmes387212549311731561
%43,9855,2648,087059,6262,966247,99
Hommes493172721211019608
%56,0244,7451,923040,3837,043852,01
Total8803852705227501169
Tableau n°4 – Sex-ratio dans les différentes disciplines (2019-2023, n=1169)

Géographie et polarisation de la recherche

            Les constats opérés pour les années 2014-2018 sont presque identiques sur la question des institutions de soutenance. En effet, les Universités parisiennes et de la région parisienne continuent de polariser 60% des thèses soutenues. 

Nombre%
Paris71160,82
Régions44638,15
Étranger121,03
Total1169100
Tableau n°5 – Lieux de soutenance (2019-2023, n=1169)

            Lorsqu’on rentre dans le détail des Universités de soutenance, un trio de tête continue de se dégager de manière très claire : l’EHESS, Paris 1 et Sorbonne Université. À elles seules, ces trois institutions représentent 39% des soutenances, avec 227 soutenances pour l’EHESS (19,5% du total), 154 pour Paris 1 (13% du total) ; et un décrochage assez fort de « Paris 4 », devenue « Sorbonne Université » qui passe ainsi de 112 thèses entre 2014 et 2018, à 74 pour 2019-2023. Cette domination nous invite d’ailleurs, dans la suite des indicateurs analysés ici, à isoler l’EHESS, dont le degré d’internationalisation se différencie des autres Universités. 

            Dans ce corpus de 1169 thèses dans lequel nous intégrons donc notre comptage des autres disciplines, 6 établissements se distinguent ensuite, avec plus de 30 soutenances de thèses : Sciences Po Paris (42) ; Toulouse Jean Jaurès (39) ; Paris Nanterre (35) ; Bordeaux Montaigne (34), Aix-Marseille (31) et Lyon 2 (31). Suivent ensuite 20 établissements entre 10 et 25 thèses soutenues, que l’on retrouve dans le graphique ci-dessous. 

Graphique n°3 – Établissement ayant fait soutenir plus de 10 thèses en histoire (2019-2023, n=990)

Les hiérarchies présentes ne semblent pas profondément bouleversées, si ce n’est une présence plus importante de Sciences Po Paris (42 thèses contre 27 dans les 5 années précédentes). 

            À noter que « l’Université de Paris », devenu « Université Paris-Cité », comptabiliserait 27 thèses en fusionnant les deux institutions, toujours distinguées comme telles sur « theses.fr ».  

Bornes chronologiques

Nous proposons ici une analyse des périodes étudiées par les thèses en histoire contemporaine, codées par décennie, ce qui permet de mieux voir quelles sont les dynamiques de répartition des sujets de thèses entre le XIXe siècle et le XXe, par exemple, ou sur telle ou telle séquence de manière plus précise. En comparant les évolutions entre 2014-2018 et 2019-2023, on obtient le graphique suivant (en rappelant qu’ici, chaque décennie est comptabilisée comme un pourcentage du total 1800-2010). 

Graphique n°4 – Périodes étudiées par les thèses soutenues, par décennies (2014-2023, en %, n=2138 pour les thèses ; n=12848 pour les décennies).

Le constat semble clair : si les grands équilibres semblent respectés, on assiste à un tassement des décennies 1920-1960, et à une augmentation forte des thèses concernant les décennies les plus récentes (1980-2010). 

            Ce résultat appelle un correctif important. En effet, une grande partie des thèses les plus récentes proviennent en réalité, une fois de plus, des autres disciplines intégrées au bilan (sciences politiques et sociologie, notamment). Celles-ci cherchent souvent à éclairer des objets du très contemporain, en les ancrant dans un passé récent. Si l’on distingue donc, dans les années 2019-2023, les thèses d’histoire, et celles des autres disciplines, on obtient une vision très claire. 

Graphique n°5 – Périodes étudiées par les thèses soutenues en histoire et dans les autres disciplines, par décennies (2019-2023, en %, n=1169 pour les thèses ; n=7124 pour les décennies).

Il semble donc plus intéressant, pour une comparaison pied à pied avec les thèses soutenues entre 2014-et 2018, listes dans lesquels la part des autres disciplines était bien plus faible, de ne comparer que les thèses d’histoire proprement dites. Le résultat est alors le suivant : 

Graphique n°6 – Périodes étudiées par les thèses soutenues en histoire, par décennies (2014-2023, en %, n=1849 pour les thèses ; n=11099 pour les décennies).

Les changements semblent alors relativement mineurs. Si la décennie 2010 est mieux représentée – ce qui paraît logique, avec une certaine « barrière mobile » pour ces thèses concernant l’histoire du temps très présent – on constate surtout un tassement pour les années 1920-1980, au profit d’une augmentation homogène pour le XIXe siècle (1800-1880). Si on compare les années 1800-1890 dans nos deux corpus de cinq ans, celui-ci passe de 35,7% pour 2014-2018 à 38,6% pour 2019-2023 ; inversement, la période 1920-1970 passe de 37,1% à 32,6%. 

            Comment interpréter ces résultats ? À la saisie, il est évident qu’une bonne partie de l’augmentation des thèses s’intéressant aux années 1800-1820 provient d’une intégration de thèses d’histoire moderne qui « débordent » les limites traditionnelles de 1789 ou de 1815. Pour le tassement des années 1920-1970, il est plus difficile de trancher : l’étude des deux décennies des deux guerres mondiales (1910 et 1940) est toujours très dynamique, malgré la fin du Centenaire 1914-1918. Il semble bien, mais cette hypothèse appellerait de nouvelles analyses, que la succession d’événements guerriers des années 1914-1945 disloque la chronologie, et rend moins facile les études de grandes séquences classiques comme 1815-1914 : il existe donc de nombreuses thèses sur les années 1920-1970, mais elles concernent souvent des périodes plus courtes, ce qui, dans notre mode de comptage, écrase quelque peu les résultats. Un exemple : pour les thèses en histoire étudiant au moins les années 1940 (n=330), l’ampleur de la chronologie étudiée est en moyenne de 8 décennies ; pour les années 1880 (n=267), elle est de 10,6 décennies. 

Internationalisation

Une question qui animait notre précédente analyse pour les années 2014-2018 était de mesurer le degré d’internationalisation des recherches, voire la soi-disant domination d’une « histoire mondiale » ou « globale », nouvelle mode historiographique. 

            Les grands équilibres des années 2014-2018 n’ont pas beaucoup évolué : alors que 70% des thèses n’étudiaient qu’un pays, 25% deux pays et 5% plus de deux pays, entre 2019 et 2023, ces chiffres sont respectivement de 65, 23 et 12%. Cette évolution n’est toutefois pas négligeable : les thèses qui s’intéressent soit à des logiques multinationales, intégrant trois ou plusieurs pays, soit à des objets en eux-mêmes globaux (Europe(s), Occident, Afrique(s)…) ont été multiplié par plus de deux. 

            Quelle est la place des thèses concernant la France dans ces équilibres ? Parmi les thèses qui ne concernent qu’un pays, la France représentait 60% en 2014-2018 ; elle représente 65% en 2019-2023. Si on comptabilise toutes les thèses (celles qui étudient un, deux, ou plusieurs pays), 64% des thèses étudient alors au moins la France (un chiffre tout à fait stable par rapport à 2014-2018). Si on ramène ce chiffre à l’ensemble des pays étudiés (n=1609), la France ne représente plus que 46,6%, contre 47,2% pour 2014-2018. Mais cette légère diminution n’est liée qu’à une plus grande internationalisation des recherches, on l’a dit, qui fait diminuer – de manière toute relative – la place de l’hexagone dans l’économie générale des thèses. 

            La saisie des données permet de détecter des variations très fortes selon les établissements. Ainsi, l’EHESS, qui représente 20% des recherches doctorales sur les cinq dernières années, se singularise. En effet, si le nombre moyen de pays étudiés par les thèses est comparable à celui des autres établissements (moyenne = 1,6), en revanche, la place de la France est moindre, 43% pour les thèses n’étudiant qu’un seul pays, 35% pour toutes les catégories, contre 69,5% et 49,3% des thèses soutenues dans d’autres établissements. 

            Quels pays sont étudiés dans toutes ces thèses ? On peut regrouper les aires dans les grandes catégories suivantes. 

Nombre%
France75049,60
Europe38625,53
Afrique1288,47
Amérique latine1046,88
Amérique du Nord734,83
Asie714,70
Total1512100
Tableau n°6 – Régions étudiées par les thèses (2019-2023, n=1512)

Dans le détail, les pays et aires étudiés le plus massivement sont les suivants. 

France750
USA65
Royaume-Uni59
Allemagne57
Italie48
Europe / UE45
Chine31
Espagne30
Russie / URSS27
Monde26
Algérie24
Turquie19
Brésil17
Chili17
Belgique13
Colombie11
Argentine11
Roumanie11
Autres pays d’Afrique104
Autres pays d’Europe77
Autres pays Asie40
Autres pays Amérique latine48
Autres pays Proche et Moyen-Orient55
Autres24
Total1609
Tableau n°7 – Pays étudiés par les thèses (2019-2023, n=1609)

Les grands équilibres de 2014-2018 semblent stables, même si tel ou tel pays peut recevoir une exposition supérieure ou inférieure, ponctuellement. L’intégration de thèses plus nombreuses en études anglophones ou américaines fait mécaniquement monter ces aires. 

Quelle répartition entre les sous-champs ? 

Nous avons de nouveau effectué une classification des thèses à partir de leur titre, pour essayer de dessiner l’appartenance à tel ou tel sous-champ de la discipline historique (histoire politique, sociale, culturelle…). Nous rappelons que ce codage ne se fait qu’à partir du titre de la thèse (sauf rare exception qui demande vérification dans le résumé de la thèse). Ainsi, il donne surtout les grandes orientations des thématiques étudiées entre 2019 et 2023. Ce qui frappe, c’est la très grande stabilité entre les grandes catégories, malgré l’arbitraire certain du codage. Le trio de tête est toujours composé par l’histoire politique, l’histoire sociale et l’histoire culturelle : entre 2014-2018 et 2019-2023, elles sont ainsi passées de 19,35%, 18,54% et 13,77% à 18,88%, 13,32% et 16,58%. L’histoire politique (au sens large, celle des partis politiques comme des politiques publiques), reste première. L’inversion entre histoire sociale et culturelle est discutable : il tient, encore une fois, à un biais de notre corpus qui, en intégrant de nombreuses thèses en histoire de l’art ou en littérature, gonfle artificiellement les résultats de l’histoire culturelle. Si on applique le même correctif que pour plusieurs indicateurs déjà étudiés ici, en retirant les thèses hors histoire, le constat est encore plus clair : les hiérarchies des années 2014-2018 ont, en réalité, très peu évolué. 

CatégoriesPolitiqueSocialCulturelÉconomiqueR. I. ColonialBiographie
2014-201819,3518,5413,778,627,376,44,17
2019-202319,1614,413,076,858,125,844,95
CatégoriesReligieuxMilitaireUrbaineSciencesÉducationEnrivonn.Genre
2014-20184,013,963,743,692,761,572,06
2019-20234,77,423,624,72,731,783,49
Tableau n°8 – Sous-champs étudiés par les thèses d’histoire (2014-2023, en %, n=1849).

Histoires politique et culturelle sont stables. L’histoire sociale connait un décrochage important, mais qui peut très bien être en partie liée à des modifications dans le codage des données. L’histoire économique, les relations internationales, l’histoire coloniale / post-coloniale restent stables comme des sous-champs importants, de même que, dans des proportions moindres, l’histoire religieuse, les études biographiques et prosopographiques, l’histoire urbaine et l’histoire des sciences. Histoire de l’éducation et histoire environnementale restent stables, à moins de 3%. Les deux champs qui ont connu une forte augmentation sont la catégorie de l’histoire militaire et de l’histoire des guerres et des conflits armés, passée de 4% à 7,5% ; l’histoire du genre, elle, poursuit son augmentation, de 2 à 3,49%, bien loin des fantasmes de volonté hégémonique que certains critiques lui prêtent, donc. On rappellera que cette catégorie regroupe, dans notre analyse, l’histoire des femmes, des féminismes, des masculinités… 

            Une certaine frustration est apparue à la saisie, face à des sujets de thèse qui s’insère mal dans cette liste trop fruste, et pourtant déjà bien longue. De nombreuses thèses en histoire du sport, par exemple, ne s’inséraient qu’assez mal dans les catégories ci-dessus.

            Nous nous sommes interrogés, comme nous l’avons fait plus tôt, sur le sex-ratio dans les sous-champs, car il nous semblait que ce croisement pouvait être intéressant sur les choix des doctorantes et doctorants. Les résultats sont les suivants : 

POLSOCCULTRIMILECOCOLO
Hommes22614713189937452
%57,3652,8837,8655,9770,9957,8147,27
Femmes16813121570385458
%42,6447,1262,1444,0329,0142,1952,73
Total394278346159131128110
BIOSCIENCRELURBGENREEDUCENVIR
Hommes57435044142818
%52,2946,2464,9453,0118,1842,4250
Femmes52502739633818
%47,7153,7635,0646,9981,8257,5850
Total109937783776636

Certains résultats sont frappants, même sur des corpus finalement assez restreints, du fait de ce découpage en sous-groupes : on rappelle que le sex-ratio de notre corpus, globalement, est pour l’histoire de 44% / 56%. Ici, en ayant retiré les thèses hors-section 22, on voit que certains sous-champs connaissent des déséquilibres forts : l’histoire culturelle est ainsi massivement investie par les femmes (62%), alors que l’histoire militaire et des guerres l’est massivement par les hommes (71%). L’histoire coloniale, l’histoire des sciences et des techniques comme l’histoire de l’éducation voient une surreprésentation féminine d’environ 10 points. C’est dans l’histoire du « genre » (des femmes, féminismes, masculinités, etc.) que le déséquilibre est le plus accentué : on n’y dénombre que 18% de doctorants. 

            On pourrait multiplier les croisements, comme celui des établissements de soutenance et des sous-champs, une cartographie institutionnelle qui, cependant, est déjà bien connue : il apparaît comme prévisible que sur les 42 thèses soutenues à Sciences Po Paris, 35% concernent l’histoire politique et 18% l’histoire des relations internationales. De même, les croisements entre sous-champs et périodisation ne donnent pas de résultats très clivants. 

Conclusion

L’analyse de ces quelques données nous permet de mieux apercevoir les grandes tendances de la recherche doctorale en histoire contemporaine en France. On le voit, sur 10 ans, il existe une forte inertie : non seulement le nombre de soutenances reste stable, mais les institutions qui produisent le plus de thèses restent les mêmes, tout comme les grandes proportions de l’internationalisation ou des sous-champs. Les choses semblent plus mobiles, encore que dans de faibles proportions, pour les périodes d’études, comme on l’a vu. 

            Nous l’avons déjà proposé, il y aurait une belle étude quantitative à réaliser, à partir des données fournies par l’AHCESR / H2C, notamment dix ans de jurys de soutenance et de résumés de thèse, que ce soit en affinant les questions de méthodes et de sous-champs à partir des dits-résumés, y compris à l’aide d’outils lexicographiques ; ou en effectuant une sociologie rapide ou une étude de réseaux à partir des jurys. Le matériau est à la portée des bonnes volontés ! Avec toujours en ligne de mire, la mise à disposition d’outils pour faciliter l’objectivation des pratiques de notre discipline. 

Nicolas Patin

MCF Histoire contemporaine

Université Bordeaux Montaigne

PS : merci à Damien Accoulon, Judith Bonnin, Pierre-Emmanuel Guigo, Stéphane Lembré et Thomas Vaisset pour leurs relectures. Les erreurs qui demeurent sont de mon fait. Vous pouvez télécharger la base de données qui a servi à cette étude ci-dessous. N’hésitez pas à signaler une erreur ou un codage fautif ! Les choix opérés dans ce codage n’engagent que leur auteur. 

  1. Nicolas Patin, « Les thèses soutenues en histoire contemporaine (2014-2018). Un bilan », URL : https://www.asso-h2c.fr/2021/01/29/les-these-soutenues-en-histoire-contemporaine-2014-2018-un-bilan/ ↩︎
  2. Nous renvoyons à une analyse complémentaire et très intéressante, publiée dans le numéro 60 de la revue Histoire & Sociétés rurales, (2023/2), où sont analysées 1143 « thèses rurales ». Nous partageons avec cette recherche beaucoup de réflexions méthodologiques communes. Voir Annie Antoine, « Trente ans après… Les 1143 thèses rurales des années 2000 », dans Histoire & Sociétés rurales, 2023/2, volume 60, pp. 9 à 34. ↩︎
  3. https://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/vous-etes/journaliste/communiques_et_dossiers_de_presse/annee-2023-2024/infographie-de-la-rentree-2023-les-effectifs-etudiants.html [consulté le 6 février 2024]. Chiffres complémentaires fournis par l’Observatoire des étudiants de l’Université Bordeaux Montaigne.  ↩︎
  4. À Sorbonne-Université, les lettres comptent ainsi 68,2% de femmes en 2018-2019. Voir Bilan social 2018, p. 7, URL : https://www.sorbonne-universite.fr/sites/default/files/media/2021-12/Bilan_social_2018.pdf [consulté le 7 février 2024]. Le département d’histoire de l’Université Toulouse – Jean Jaurès comptait 49% de femmes. Voir www.univ-tlse2.fr [consulté le 7 février 2024].  ↩︎