AAC – (Ne pas) se dire féministe. France et territoires (post-)coloniaux, XIXe siècle -XXIe siècle
Nous avons le plaisir de vous faire part de l’appel à communications pour le colloque « (Ne pas) se dire féministe. France et territoires (post-)coloniaux, XIXe siècle -XXIe siècle » qui se tiendra en novembre 2024 à Paris. Les propositions de communication, de 3000 signes environ, sont attendues pour le 30 avril 2024.
N’hésitez pas à venir vers nous en cas de questions.
Bien cordialement,
Viviane Albenga, Pauline Delage et Fanny Gallot
*(Ne pas) se dire féministe*
*France et territoires (post-)coloniaux, XIXe siècle -XXIe siècle*
Si le terme « féminisme » apparaît, en France, en 1872 dans les écrits d’Alexandre Dumas fils pour désigner, péjorativement, « les partisans de l’égalité des sexes comme des hommes ‘‘efféminés’’ », c’est Hubertine Auclert qui se l’approprie en déjouant la stigmatisation du terme (Pavard, Rochefort, Zancarini-Fournel, 2020, p. 6). Depuis, l’identification au(x) féminisme(s) s’est diffusée, comme l’a récemment illustré le mouvement #MeToo, et ses modalités se sont déclinées de diverses manières en fonction des enjeux posés par les contextes politiques, sociaux et historiques, locaux comme internationaux : de féminisme noir ou afroféminisme en passant par féminisme intersectionnel, universaliste, décolonial, transféminisme entre autres, de nombreux termes ont fait leur apparition pour mettre en lumière des identités politiques spécifiques. Derrière des débats terminologiques se jouent des enjeux de catégorisation. D’autres labels, comme post-féministe, néo-féministe, ou féministe (néo)libéral, ont par ailleurs été élaborés, notamment dans les médias et dans le monde de la recherche, pour situer historiquement et politiquement des types d’adhésion à l’idée d’égalité (Banet-Weiser, Gill, Rottenberg, 2020). Ce colloque vise ainsi à interroger les formes et les conditions d’appropriation et de rejet, individuelles et collectives, du féminisme depuis les mouvements en faveur des droits des femmes du XIXe, en France et dans les territoires (post-) coloniaux.
Les questions que nous souhaitons poser interviennent dans un contexte ambivalent, marqué à la fois par une remobilisation des différents pôles de l’espace de la cause des femmes (Bereni 2012) au niveau international et la diffusion de la norme égalitaire, et par l’essor d’un nouveau *backlash* et de mobilisations anti-féministes. Aussi ce colloque cherchera-t-il à souligner les luttes de définition – d’une part au sein des féminismes et de l’espace de la cause des femmes, d’autre part entre féministes et anti-féministes – qui façonnent la catégorie « féministe » et ses reconfigurations. Il s’agira également d’appréhender la multiplicité des modalités d’identification aux féminismes, en fonction des trajectoires politiques, professionnelles et sociales et des propriétés sociales de celles et ceux qui s’en revendiquent. Pour ce faire, ce colloque croisera l’étude de différents mondes dans lesquels se jouent ces enjeux de définition, de catégorisation et d’identification, en particulier militants, associatifs et politiques, mais aussi institutionnels, médiatiques ou académiques.
Ancrées dans les différentes disciplines des sciences sociales, les communications présenteront les résultats d’enquêtes et pourront s’inscrire dans l’un ou plusieurs des trois axes suivants.
*1. Retour sur la qualification des acteurs et actrices engagé·es pour l’égalité*
Dans l’histoire contemporaine, les historiennes des féminismes utilisent l’épithète « féministe », y compris rétroactivement pour désigner « les combats pour l’égalité et la liberté des sexes » face à un antiféminisme « qui récuse cette égalité, y voyant plus ou moins obscurément une menace pour l’ordre d’un monde fondé sur la hiérarchie sexuelle et la domination masculine » (Bard, 1999). Toutefois, certaines ont pointé le risque d’exclusion de mouvements et d’acteurices que comporte la qualification « féministe » (Chaperon, 1997 ; Delap 2020). Pour ne prendre qu’un exemple, c’est le cas de Pascale Barthélémy qui rappelle, au sujet de la Fédération démocratique internationale des femmes (FDIF) fondée dans les années 1940, que « la plupart des femmes ou des associations […] n’emploient pas le terme ‘‘féministe’’, sinon pour s’en démarquer. Elles refusent de se définir comme telles » (Barthélémy, 2022, p. 19). Dans les recherches historiques, mais aussi sociologiques, comment qualifier des enquêté·es engagé·es pour l’égalité qui ne se revendiquent pas féministes ?
Outre les enjeux conceptuels et empiriques que pose l’usage du terme par les chercheur.es, la question se pose aux acteurices étudié.es <xn--tudi-9oae.es> : depuis le XIXè siècle, des militant·es engagé·es dans des mouvements pour les droits des femmes, de classes populaires en particulier, récusent l’appellation « féministe » et préfèrent par exemple parler de revendications « féminines ». Le rejet du féminisme peut alors refléter l’idée, prégnante dans l’histoire du mouvement ouvrier, selon laquelle les féministes sont des bourgeoises qui divisent la classe ouvrière (Cros, 2021). Les débats autour de l’identification au féminisme ont animé les mouvements sociaux *a fortiori* dans les moments où le terme « féminisme » se diffuse plus largement par exemple : faut-il se revendiquer comme féministe ? A quelles conditions ? Sinon, pourquoi ? Comment se positionnent et s’identifient les hommes alliés des droits des femmes (Jacquemart, 2015) ? L’un des enjeux de ce colloque consistera à saisir les contours des positions intermédiaires, saisies dans les pratiques ordinaires et/ou militantes, d’acteurices impliquées dans différents types de mouvements sociaux et dans des espaces sociaux variés.
*2. Appropriations différenciées de l’identité féministe*
Les conditions sociales qui permettent (ou non) de se dire féministe diffèrent selon les socialisations de classe et de genre, voire nécessitent des ressources, au premier rang desquelles du capital culturel. Le rôle du capital culturel a en particulier été souligné par Aronson (2015). Toutefois, Aronson désignait le fait d’avoir suivi des cursus en Women’s ou Gender Studies, alors que ce sont aussi d’autres formes de capital culturel qui peuvent participer aujourd’hui de l’adhésion au féminisme et qui se diffusent par exemple via des réseaux socio-numériques ou la circulation du pop féminisme (voir Djavadzadeh, 2021 à propos de Beyoncé). En quoi certains espaces de diffusion d’idées et de pratiques féministes, qu’ils s’agissent de l’université, ou des institutions et des associations œuvrant pour les droits des femmes, favorisent l’adhésion ou le rejet du féminisme ? Sans tomber dans une approche enchantée, comment peut-on appréhender, avec les études contemporaines et la prise en compte des effets de #MeToo et du militantisme numérique, les effets des supports culturels et médiatiques ? Par ailleurs, peut-on dire que les jeunes générations s’identifient davantage aux féminismes que les précédentes ? Les approches intergénérationnelles ou transgénérationnelles seront bienvenues, dans une perspective d’analyse des socialisations familiales (Masclet, 2015) ou comparative.
Les travaux sur l’identification féministe portent sur les usages ordinaires (Albenga et Bachmann, 2015 ; Delage, 2015 ; Gallot et Meuret-Campfort, 2015) et militantes (Fourment, 2021, 2022), tout en questionnant l’impact spécifique de certains mondes et de certains marchés sur des appropriations « sélectives » des féminismes, à l’instar des mondes de l’art (David, 2023). La frontière entre appropriations militantes et ordinaires se révèle par ailleurs mouvante, lorsqu’on étudie les trajectoires des acteurices en particulier. Ainsi, Jouët, Niemeyer et Pavard (2017) mettent en évidence la pertinence d’une analyse par cercles concentriques depuis le militantisme jusqu’aux appropriations ordinaires, en se centrant en particulier sur la diffusion numérique des féminismes.
Les identifications aux féminismes dépendent des contextes sociaux et historiques, ainsi que des représentations sociales dominantes du féminisme (Skeggs, 2015) et de ses débats internes (Lépinard et Lieber 2020). Si les qualificatifs et préfixes se sont multipliés pour situer les acteurices les employant dans les différents pôles constituant l’espace de la cause des femmes (Bereni, 2012), d’autres catégories d’identification ont été développées, comme antisexiste, antipatriarcal, etc. Quelles sont les conditions d’apparition et d’usage de ces catégories ? Ces étiquettes prennent par ailleurs des significations différenciées selon les contextes : la réalisation d’enquêtes de terrain sur d’autres pays que celui dont la chercheuse est originaire met à l’épreuve la compréhension entre l’enquêtrice et les personnes qu’elle étudie au sujet du terme même de féminisme. Qu’est-ce que les enquêtes transnationales, ou tout simplement menées dans d’autres contextes nationaux que le nôtre, nous apprennent sur les luttes de définition du féminisme ?
*3. Questions méthodologiques et épistémologiques*
Dans le champ scientifique, le fait de se dire féministe a amorcé un travail réflexif contribuant à repenser les fondements épistémologiques et méthodologiques des sciences, sociales notamment. La critique féministe des sciences englobe toutefois des démarches épistémologiques et méthodologiques variées, pas toujours conciliables, visant à politiser les savoirs, à les élaborer en relation avec un mouvement collectif et militant, à insister sur le privilège épistémique des opprimé·es, à poser les conditions d’élaboration d’une objectivité forte, ou à mettre en cause les fondements scientifiques de la production de connaissances (voir Puig de la Bellacasa, 2013 ; Clair, 2016) ; elle a également été façonnée par la perspective intersectionnelle (Hill Collins, 2016).
La qualification de recherches ou de chercheur.euses comme étant « féministes » peut par ailleurs être un moyen de mettre en doute la validité d’un dispositif méthodologique et épistémologique. Une telle logique de disqualification n’est toutefois pas nouvelle. Souvenons-nous par exemple des tentatives de délégitimation lancées sur l’ENVEFF (Enquête nationale sur les violences envers les femmes en France, 2000) à la suite de la parution de ses premiers résultats. La panique morale autour de la « théorie du genre », qui a pris une forme renouvelée avec la circulation de la catégorie du « wokisme », a non seulement des effets dans le monde médiatique et politique, mais contribue à forger une logique de suspicion dans un champ scientifique transformé par la légitimation croissante des outils issus des études de genre et intersectionnelles (Garbagnoli, Prearo, 2017).
Cet axe invite à interroger les effets scientifiques et politiques de l’adhésion au féminisme et de sa (dis)qualification sur la production de connaissances, non seulement dans le champ scientifique mais également sur les terrains d’enquête. Dorothy Smith (2018) a par exemple proposé de produire une ethnographie qu’elle qualifie de *féministe*, consistant à intégrer les expériences minoritaires dans les enquêtes de terrain. Quels seraient les fondements, en termes de pratiques et d’objets de recherche, d’une méthodologie féministe dans un contexte de plus grande inclusion des expériences minoritaires dans la production de savoirs ? En outre, lorsqu’on étudie des acteurices contribuant à promouvoir l’égalité (militant·es, associations, fémocrates, politiques), quels sont les effets de l’identification au féminisme, ou de sa mise à distance, par le/la chercheur·e sur le terrain?
Les *résumés de communication de 3000 signes* devront présenter la problématique, la méthode et les résultats. Ils seront à envoyer à valbenga@yahoo.fr; Pauline.de <Pauline.delage@cnrs.fr>lage@cnrs.fr <Pauline.delage@cnrs.fr> ; fanny.gallot@gmail.com avant le *30 avril 2024*. Le colloque aura lieu en novembre 2024, à Paris.
*Comité d’organisation* :
Viviane Albenga (Université Bordeaux Montaigne, MICA, IUF) ; Pauline Delage (CNRS, CRESPPA-CSU) ; Fanny Gallot (Université Paris Est Créteil, CRHEC)
*Comité scientifique* :
Viviane Albenga, Université Bordeaux Montaigne, MICA, IUF
Pascale Barthélémy, ENS Lyon, LAHRA
Laetitia Biscarrat, Université Côte d’Azur, LIRCES
Maud Bracke, Université de Glagow
Isabelle Clair, CNRS, IRIS
Pauline Clochec, Université de Picardie, CURAPP
Emmanuelle David, IEP Bordeaux, LAM
Pauline Delage, CNRS, CRESPPA-CSU
Magali Della Sudda, CNRS, Centre Emile Durkheim
Fanny Gallot, UPEC, CRHEC
Alban Jacquemart, Université Paris Dauphine, IRISSO
Houria Kebabza, Université Toulouse II
Camille Masclet, CNRS, CESSP
Florence Rochefort, CNRS, GSRL
Michelle Zancarini-Fournel, Université Claude Bernard Lyon I, LAHRA
*Références :*
Albenga Viviane et Bachmann Laurence « Appropriations des idées féministes et transformation de soi par la lecture », *Politix*, vol. 109, no. 1, 2015, pp. 69-89.
Aronson Pamela « Féministes ou postféministes ? Les jeunes femmes, le féminisme et les rapports de genre », *Politix*, vol. 109, no. 1, 2015, pp. 135-158.
Banet-Weiser Sarah, Rosalind Gill, Catherine Rottenberg, “Postfeminism, popular feminism and neoliberal feminism? Sarah Banet-Weiser, Rosalind Gill and Catherine Rottenberg in conversation”, *Feminist theory*, vol. 21, no 1, 2020, pp. 3-24.
Bard Christine (dir.), *Un Siècle d’antiféminisme,* Fayard, 1999.
Barthélémy Pascale, *Sororité et colonialisme. Françaises et Africaines au temps de la guerre froide (1944-1962),* Éditions de la Sorbonne, 2022.
Bereni Laure, « Penser la transversaliteì des mobilisations feìministes : l’espace de la cause des femmes » in Christine Bard, *Les feìministes de la 2eÌme vague, *Presses universitaires de Rennes, pp.27-41, 2012.
Chaperon Sylvie, *Les années Beauvoir,* Fayard, 2000.
Clair Isabelle, « Faire du terrain en féministe », *Actes de la recherche en sciences sociales*, 2016/3 (N° 213), p. 66-83.
Cros Lucie, « Des pratiques émancipatrices aux prises avec les normes de genre et de classe. Le cas du groupe-femmes de Lip », *Cahiers du Genre*, vol. 70, no. 1, 2021, pp. 137-155.
David Emmanuelle, *Une prime à l’engagement. Prescrire le féminisme dans le travail artistique au Maroc*, thèse de science politique, Sciences Po Bordeaux et Université de Lausanne, 2023.
Delage Pauline, « Des héritages sans testament. L’appropriation différentielle des idées féministes dans la lutte contre la violence conjugale en France et aux États-Unis », *Politix*, vol. 109, no. 1, 2015, pp. 91-109.
Delap Lucy, *Feminisms: A global history*, University of Chicago Press, 2020.
Djavadzadeh Keivan, « Culture populaire », Juliette Rennes éd., *Encyclopédie critique du genre*, La Découverte, 2021, pp. 210-219.
Fourment Émeline, « L’université produit-elle des féministes libertaires ? Imbrications et tensions entre socialisations universitaire et militante », *Revue Française de Science Politique*, vol. 72, no1-2, 2022, pp. 127-147.
Fourment Émeline, *Théories en action : appropriations des théories féministes en milieu libertaire à Berlin et Montréal*, thèse de science politique, IEP, Paris, 2021.
Gallot Fanny et Meuret-Campfort Eve, « Des ouvrières en lutte dans l’après 1968. Rapports au féminisme et subversions de genre », *Politix*, vol. 109, no. 1, 2015, pp. 21-43.
Garbagnoli Sara, Prearo Massimo, *La croisade « anti-genre ». Du Vatican au Manif pour Tous*, Éditions Textuel, 2017.
Jacquemart Alban, *Les hommes dans les mouvements féministes : socio-histoire d’un engagement improbable*, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
Jouët Josiane, Niemeyer Katharina, Pavard Bibia, « Faire des vagues. Les mobilisations féministes en ligne », *Réseaux*, vol. 201, no. 1, 2017, pp. 21-57.
Hill Collins Patricia, *La pensée féministe noire. Savoir, conscience et politique de l’empowerment*, Les éditions du remue-ménage, 2016.
Lépinard Éléonore et Lieber Marylène, *Les théories en études de genre*, La Découverte, 2020.
Pavard Bibia, Rochefort Florence, Zancarini-Fournel Michelle, *Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours,* La Découverte, 2020.
Puig de la Bellacasa Maria, *Politiques féministes et construction des savoirs. « Penser nous devons » !*, Paris, L’Harmattan, 2013.
Masclet Camille, « Le féminisme en héritage ? Enfants de militantes de la deuxième vague », *Politix*, vol. 109, no. 1, 2015, pp. 45-68.
Skeggs Beverley, *Des femmes respectables. Classe et genre en milieu populaire*, traduit de l’anglais par Pouly Marie-Pierre, Marseille, Agone, 2015.
Smith Dorothy, *L’ethnographie institutionnelle. Une sociologie pour les gens*, Paris, 2018.