AAC Colloque “Penser, définir, classifier les révolté·es : production et circulation de savoirs autour de révoltes réprimées au XIXe siècle”

Cher.es collègues,
Vous voudrez bien trouver ci-après un appel à communications pour le colloque “Penser, définir, classifier les révolté·es : production et circulation de savoirs autour de révoltes réprimées au XIXe siècle” qui aura lieu en deux temps aux Universités d’Aix-Marseille et de Nanterre en 2024.
La date limite pour l’envoi des propositions est fixée au lundi 2 octobre.
N’hésitez pas à faire circuler cet appel dans vos réseaux, y compris à l’international.
En espérant que ce projet suscite votre intérêt,
Excellente rentrée à toustes.
Agathe Meridjen (Sophiapol), Thomas Ramonda (Sciences-Po Aix- Mesopolhis)

*Penser, définir, classifier les révolté·es : production et circulation de savoirs autour de révoltes réprimées au XIXe siècle.* ——————————

Les études sur les sciences de gouvernement en France ont permis d’insister sur les argumentaires scientistes et les outils académiques qui sous-tendent et orientent les politiques publiques*. *Ces savoirs participent d’une rationalisation de l’action publique, de son élaboration jusqu’à son évaluation, en passant par une plus grande connaissance des populations ciblées. En plus d’être cadre et support de la politique, ces savoirs en sont également des moyens de justification et de légitimation[1]. Ce champ d’étude étant fondamentalement pluridisciplinaire, le projet vise à développer et approfondir les dialogues entre politistes, historien·nes, sociologues ou philosophes, et plus largement toutes approches pertinentes.

Ce colloque invite à penser l’élaboration de savoirs sur des révoltes contre lesquelles les autorités gouvernantes déploient une troupe armée au long XIXe siècle. Par troupe armée, nous entendons au sens large un groupe armé qui répond aux pouvoirs officiels, localement ou nationalement, qu’il s’agisse de garnisons militaires, de milices, de mercenaires ou de corsaires recrutés temporairement pour réprimer la révolte. Cette variable permet d’isoler des événements jugés assez dangereux par les autorités pour décider d’une intervention armée au-delà des forces de police ou de maintien de l’ordre quotidien. Les propositions peuvent s’inscrire dans tout le long XIXe siècle, c’est-à-dire, et en justifiant la pertinence de ce choix, mobiliser la Révolution française et la Première Guerre mondiale.
Le colloque entend insister à la fois sur l’usage et l’influence des savoirs produits sur la révolte dans la remise en ordre politique et sociale du mouvement, et sur la place de ces événements dans les corpus disciplinaires concernés[2]. Il concerne également les savoirs développés au sein des populations révoltées. Les faits peuvent revêtir différentes formes tout au long d’un siècle dont de nombreux travaux historiques ont relevé les insurrections, les soulèvements populaires, les révoltes ouvrières et des actions collectives aux mémoires plus modestes[3]. L’appel n’est pas limité géographiquement ni restreint à l’espace français.

Sans limiter cet appel à des axes fermés, le colloque se concentre autour de différentes dynamiques concernant des aspects distincts de la production et de la circulation de savoirs liés à des révoltes.
Nous nous intéressons aux savoirs comme moyens de catégorisation et de compréhension des événements et des populations. Par savoirs, nous entendons ici toutes les théories et enquêtes empiriques produites au sein des disciplines reconnues académiquement : les champs concernés peuvent être la médecine et notamment la médecine coloniale, l’anthropologie, l’histoire naturelle, la sociologie, la philosophie, la biologie, le droit, l’histoire – liste loin d’être exhaustive. Nous entendons également par savoirs des connaissances non étiquetées dans cette énumération, non reconnues légitimes dans l’espace académique, mais qui sont considérées comme des savoirs au sein des populations qui les produisent et les mobilisent. Ainsi, ce colloque ne souscrit pas à une énième hiérarchisation des savoirs et ne se limite pas à la compréhension universitaire occidentale traditionnelle de ce qui est « science » au XIXe.
En plus d’étudier la production et la qualification des savoirs, l’appel invite aussi à penser d’autres acteur·ices qui participent indirectement à leur élaboration. Ainsi, et pour sortir d’une vision *top/down* où les savoirs émergent d’une élite dominante qui les plaque sur une population révoltée, il est intéressant de réfléchir à l’influence du contexte de révolte sur les analyses développées. La rébellion pouvant moduler ou invalider certaines théories antérieures, elle peut être pensée comme une condition de production structurante des savoirs. L’interaction entre la théorie et son objet peut sembler évidente concernant la médecine et sa patientèle, ou l’administration chargée de documenter et classifier l’événement, elle reste néanmoins assez marginalement pensée concernant d’autres domaines techniques et intellectuels. Dans le cas de populations-objets directement en opposition et en conflit avec le gouvernement, il est pertinent de réfléchir aux positionnements des savant·es qui théorisent l’événement, et plus largement de la place et reconnaissance de leurs savoirs dans les champs académiques ou politiques. Les populations étudiées peuvent être considérées comme pertinentes à considérer dans la formation des théories, loin d’être de simples objets passifs de savoirs. Plus généralement, les rapports entre les savoirs produits et leurs objets suggèrent de questionner les espaces de savoirs comme des espaces de lutte et de domination, certains savoirs servant par exemple une répression symbolique et une délégitimation de la révolte.
Au-delà des interactions possibles entre les savoirs des dominé·es et des dominant·es, du côté de la répression ou de la révolte, l’appel inclut donc les savoirs produits par les populations révoltées. Ces savoirs peuvent concerner des moyens de lutte, d’émancipation, de sabotage, ou encore des efforts de catégorisation pour nommer, décrire, et avoir le monopole narratif sur les événements et ses participant·es[4]. Ces savoirs peuvent également être l’objet de convoitises et d’efforts de conquêtes de la part des dominant·es[5], ou d’une répression accrue face à ce qui peut être considéré comme un obscurantisme indiscipliné rivalisant avec la rationalité des dominant·es[6]. Enfin, ces savoirs peuvent se lier voire s’harmoniser avec les savoirs des groupes dominants.
En lien avec les porosités ou échanges éventuels entre les savoirs des différents groupes, le colloque invite à penser les réseaux et moyens de production et de circulation des savoirs développés, notamment concernant l’influence possible du contexte de révolte. Les propositions peuvent ainsi décider de mettre en avant le rôle particulier joué par des intermédiaires, « personnels de renfort » des maisons d’édition, de la presse, du monde académique, des élites politiques ou encore des espaces intellectuels, dans la circulation des théories et pratiques développées autour des événements[7]. Les variations au fil de cette circulation et de ses espaces de réception par des lectures, des adaptations, des traductions, des modifications ou même des incompréhensions peuvent être analysées, de même que la légitimation ou l’abandon de certains contenus qui peuvent en résulter.
Parmi les moyens de production et de circulation des savoirs, le colloque invite enfin à souligner les considérations matérielles et techniques, comme les questions logistiques, économiques ou même de progrès industriels ou technologiques. Par exemple, les savoirs liés à la fabrication ou l’acheminement des armes[8], aux savoirs et techniques pour la construction de barricades, au rôle croissant de la photographie comme narration visuelle immédiate et a posteriori[9].

Ce colloque se situe à la croisée de la sociologie des sciences, de l’histoire sociale et culturelle des sciences, des études textuelles et iconographiques attentives aux outils de domination et de répression symboliques, des savoirs ayant trait à la résistance ou à l’insurrection, et des usages de savoirs et de corpus scientistes comme sciences de gouvernement. Il se veut profondément interdisciplinaire : toutes les analyses pouvant appuyer la réflexion collective sur les cadres sociaux, historiques et politiques des savoirs sont invitées à participer. Nous encourageons autant les travaux qui s’attèlent à l’analyse des conditions de production des savoirs qu’à ceux qui questionnent leur circulation – réception, usage, adaptation, pérennité ou postérité.

Le colloque aurait lieu en deux temps, à Aix-en-Provence (fin avril) puis à Nanterre (fin juin).
Nous ne pourrons pas prendre en charge les frais de déplacement et d’hébergement : veuillez vous assurer que vos institutions peuvent supporter votre participation.

*Modalités de soumission :*
Les propositions sont à envoyer *avant le lundi 2 octobre 2023* en français ou en anglais. Toutes les langues sont acceptées pour la communication, à condition de fournir un résumé détaillé de l’intervention en anglais au préalable. Elles doivent indiquer clairement l’enjeu et la problématique de la communication, et ne pas dépasser 500 mots. Elles sont à envoyer au comité d’organisation : agathe.meridjen@gmail.com <agathemeridjen.socio@gmail.com> et thomas.ramonda@gmail.com. Prévoir une intervention de 30 minutes.

*Comité scientifique*, par ordre alphabétique* :* Sylvie Aprile, Walter Bruyère-Ostells, Pierre-Marie Delpu, Elsa Dorlin, Stéphane Dufoix, François Dumasy, Silvia Falconieri, Claire Fredj, Colin Jones, Martine Kaluszynski, Christelle Rabier, Simona Tersigni.

*Comité d’organisation* : Agathe Meridjen et Thomas Ramonda.

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[1] Pour exemples : les analyses sur l’économie politique de la fin du XVIII e siècle développées à la suite de Michel Foucault (Dardot et Laval, 2010) ; sur la criminologie sous la IIIe République (Kaluszynski, 1988) ; sur la sociologie (Mucchielli, 1998) ; sur les savoirs médicaux et notamment la médecine coloniale (Peiretti-Courtis, 2021 ; Dorlin, 2009) ; sur la statistique (Martin, 2020) ; sur la phrénologie et l’anthropométrie (Marc Renneville, 2000) ; sur la constitution de normes et savoirs juridiques appuyant l’asujetissement et le contrôle des territoires colonisés (Dumasy, 2020 ; Paris, 2020 ; Larcher 2014 ; Cottias, 2010) ; sur une vision large des rhétoriques scientistes justifiant l’esclavage puis la colonisation (Dufoix et Weil, 2005) ; sur les sciences camérales (Audren et al. 2011) ; sur l’hygiénisme dans ses différents aspects comme l’économie industrielle (Le Roux, 2016), ses dérives évolutionnistes et racialistes (Becquemont, 1992), ou son application militaire (Rasmussen, 2016).
[2] En ce sens, et avec l’exemple de la Commune de Paris de 1871, peuvent notamment être cités les travaux suivants : Bovo, 2021 ; Deluermoz, 2012 ; Barrows, 1990 ; Glazer, 1985.
[3] Pour ne citer que les plus récentes : Riot-Sarcey, 2023 ; Vindt, 2021 ; Aprile, 2020 ; Noiriel, 2018 ; Zancarini Fournel, 2016 ; Charle, 2015 ; Pigenet et Tartakowsky, 2014.
[4] Ces populations peuvent notamment être productrices et sujettes d’une narration glorieuse, qui vise à être considérée comme un savoir historique, comme dans le cas de la martyrologie (Delpu, 2021).
[5] Pensons par exemple à la saisie par les groupes dominants des connaissances ou des pratiques scientifiques détenues par des groupes sous leur domination, comme dans le cas de l’appropriation de la pharmacopée des populations natives des Amériques par les colons Européens (Boumedienne, 2016).
[6] Les savoirs catégorisés avec méfiance ou mépris de « sorcellerie » fournissent des exemples intéressants d’infériorisation et de délégitimation des connaissances, souvent joints d’une répression légale des pratiques (interdiction, condamnation).
[7] Matonti (2005), Lilti (2005).
[8] Ces questionnements sont aussi pertinents pour l’armée que pour les populations révoltées où se transmet clandestinement les techniques de fabrication de bombes artisanales, parfois à l’échelle de plusieurs pays comme pour les réseaux anarchistes de fin du siècle. Après la fabrication, la circulation des armes requiert également des stratégies savantes d’évitement au risque d’une confiscation par les forces armées (Gainot, 2018).
[9] Ainsi les sciences anthropométriques s’appuient et raisonnent sur des photographies de la Commune des années après l’événement (Renneville, 2003).
— Thomas Ramonda Doctorant en Histoire 06 01 06 37 85
Institut d’Etudes Politiques 25 rue Gaston de Saporta 13625 Aix-en-Provence cedex 1 mesopolhis.fr/blog/membres/ramonda-thomas/