Les thèse soutenues en histoire contemporaine (2014-2018). Un bilan

L’AHCESR, l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur, fondée en 1969, apporte à la communauté historienne plusieurs types d’informations transversales, parmi lesquelles l’annonce des thèses soutenues chaque année. La « liste des thèses soutenues » est ainsi disponible sur le site internet de l’association[1] à partir de l’année 2012.

Il est venu à l’idée des membres responsables de cette tâche – Manuela Martini, Claire Lemercier, Nicolas Patin[2]– d’effectuer une synthèse autour des cinq années qui comportent des données relativement exhaustives, de 2014 à 2018, pour fournir un outil de transparence et de réflexivité sur les tendances de la recherche, autour de ce moment essentiel qu’est la thèse de doctorat. Quel est le nombre de thèses soutenues ? Le ratio homme-femme des doctorant.es ? Les institutions qui « produisent » le plus de thésard.es ? Peut-on déceler une évolution dans l’internationalisation des thématiques de thèses ? Les données collectées depuis cinq ans permettent de répondre à ces questions et d’éclairer la morphologie de la recherche doctorale. Les résultats de ce travail réalisé par l’auteur du présent article ont été présentés par lui le 20 décembre 2019, au cours du Jubilé des 50 ans de l’association, à la Maison de la Recherche à Paris. Le présent billet vise à rendre accessibles ces résultats au plus grand nombre, et à les mettre en contexte, pour comprendre les choix qui ont été faits dans la construction du corpus et les biais qui peuvent en découler.

 

969 thèses soutenues entre 2014 et 2018 : constitution du corpus

Il est nécessaire de revenir rapidement sur la constitution des listes annuelles ou bi-annuelles, pour se rendre compte que les thèses « soutenues en histoire contemporaine », n’appartiennent pas toutes, au sens strict, à la section CNU n°22 (« Histoire et civilisations : histoire des mondes modernes, histoire du monde contemporaine, de l’art, de la musique »). Les membres de l’équipe ont fait le choix, dès le début, d’entendre « l’histoire contemporaine » au sens très large, en intégrant des thèses de civilisation, de sociologie historique, d’histoire des sciences ou de communication, tant que ces dernières pouvaient présenter un intérêt pour la communauté historienne. Le choix n’est donc pas disciplinaire au sens strict. On peut donner quelques exemples, choisis au hasard dans la liste de 2018 :

> MAHEO, Olivier, « Divided we stand ». Tensions et clivages au sein des mouvements de libération noire du New Deal au Black Power, thèse de civilisation américaine soutenue le 23 novembre 2018 à l’université Sorbonne Nouvelle.

> BOUILLER, Sophie, Le Parti social-démocrate allemand et la justice sociale dans les années 1980. Une identité social-démocrate à l’épreuve de l’unification (1989-1990), thèse de doctorat en Études germaniques, soutenue le 2 février 2018 à Sorbonne Université.

> GRALL, Julie, Histoire du badminton en France (fin XIXe siècle – 1979) : pratiques et représentations, thèse de doctorat en sciences du sport, soutenue à l’université de Rennes 2, le 28 mars 2018.

> PEZEU, Geneviève, Coéducation, co-enseignement, mixité. Filles et garçons dans l’enseignement secondaire en France (1916-1976), thèse de doctorat en Sciences de l’éducation, soutenue le 12 juin 2018 à Sorbonne Paris-Cité.

Il est ainsi erroné de considérer, par extension, que ces thèses sont soutenues « en histoire contemporaine » ; elles concernent toutes l’histoire contemporaine, cependant. Ce choix initial introduit un biais important, qu’il ne faut pas perdre de vue dans la compréhension des résultats qui suivent.

Le résultat de la fusion des différentes listes aboutit au chiffre de 969 thèses soutenues entre le 1er janvier 2014 et le 31 décembre 2018. Ce chiffre est-il exhaustif ? Non. La récolte des membres de l’AHCESR se fait de façon à tendre vers l’exhaustivité, mais il est évident que, en dehors même des choix personnels qui ont été faits pour intégrer ou non tel doctorat de telle discipline, en ce qui concerne la section 22 en tant que telle, aucun outil n’est pleinement satisfaisant : le site « theses.fr » est très loin d’être complet ; un certain nombre d’institutions nécessitent chacune des vérifications, comme l’EHESS, l’EPHE, Sciences Po Paris, mais également de nombreuses universités. Même après ce travail de tamisage, il n’est pas rare que juste après la diffusion de la liste des thèses, certains directeurs, directrices de thèses ou doctorant.es signalent un oubli. De ce fait, il est impossible d’avoir ne serait-ce qu’une idée du taux de représentativité de notre travail, qui doit, cependant, être élevé, car nous recevons de moins en moins de réclamations, tout en ayant une très bonne diffusion auprès de la profession.

Serait-il possible d’isoler la section 22 au sein de cet ensemble ? L’information n’est pas toujours indiquée, et le site « theses.fr » regroupe l’ensemble des thèses sous le vocable « Histoire » (en ce qui concerne la discipline), les « domaines », étant, eux, bien plus spécifiques que la simple histoire contemporaine (exemple : Histoire générale de l’Asie, Orient, Extrême-Orient ; Histoire générale de la France…). Passer par le CNU pour obtenir des informations complémentaires est une possibilité, mais qui ne serait pas exhaustive non plus, dans la mesure où de nombreuses thèses ne concourent pas à la qualification.

Il faut donc se satisfaire de ces informations, tout en gardant en tête le fait qu’elles sont d’une exhaustivité relative. En ce qui concerne la qualité des données fournies, comme le montrent les exemples ci-dessus, nous nous efforçons de collecter, a minima, les informations suivantes pour chaque thèse :

« NOM et prénom du docteur, Titre de la thèse, discipline si elle est hors section 22, Université de soutenance, date de soutenance ».

Nous fournissons également, autant que faire se peut, les résumés de la thèse, quand ils sont disponibles. Par exemple, sur les 165 thèses listées dans la liste de mai 2019, 22 ne comportent pas de résumés (13%). On pourrait imaginer, pour une future enquête, se pencher plus précisément sur ces résumés – choix qui n’a pas été fait pour le présent bilan – notamment, on le verra, pour avoir une idée plus précise des méthodologies historiques employées au cours du doctorat, qui sont difficilement décelables à partir du seul titre de la recherche.

En ce qui concerne les directeurs et directrices de thèses, ainsi que les jurys, les informations sont souvent disponibles, mais il existe tout de même des manques importants, qui interdisent une description complète. Sur les 165 thèses de 2018-2019, il manque ainsi 27 jurys (tout ou partie), ce qui représente 16% de l’ensemble. Il serait possible, cependant, d’effectuer une belle analyse de réseaux, en essayant d’obtenir une meilleure exhaustivité au préalable. Le choix a été fait, pour ce présent bilan, de se concentrer sur les informations basiques, qui sont présentées, par la suite, par catégories.

 

Nombre de soutenances et saisonnalité des thèses

Les premières informations concernent tout simplement le nombre de thèses soutenues par années et leur saisonnalité dans l’année.

Graphique n°1 – Nombre de thèses soutenues par années (n=969)

          

Le nombre moyen de thèses soutenues est de 194 par an, et on constate des variations assez importantes, entre le minimum (2016, 155 thèses) et le maximum (2018, 237 thèses). Il est cependant difficile de donner du sens à ces variations, en l’absence d’autres indicateurs plus généraux, comme le nombre d’inscription en thèses, la dynamique de carrière de la directrice ou du directeur de thèse… Il faudrait des jeux de données sur un temps plus long pour pouvoir mettre en relief une diminution ou une augmentation des thèses soutenues. On peut cependant souligner que ce nombre de doctorats délivrés (environ 200), correspond à environ 1,6% des doctorats français, qui comptaient, en 2011-2012, 12 210 thèses sur la France entière[3]. La saisonnalité, quant à elle, n’est pas vraiment surprenante.

Graphique n°2 – La saisonnalité des soutenances : un calendrier évident (n=949)

45% des soutenances ont lieu entre novembre et décembre, en fonction du calendrier de la campagne de qualification au CNU. Il y a peu de changements diachroniques entre 2014 et 2018.

 

La parité dans les soutenances ?

La répartition des soutenances entre hommes et femmes est facile à obtenir, même si quelques prénoms étrangers (8) n’ont pas pu être attribués, malgré des recherches individuelles poussées.

Tableau n°1 – Le ratio hommes-femmes dans les soutenances (n=961)

Les femmes sont donc légèrement sous-représentées en moyenne, à 47% des soutenances. Pour donner du sens à cette répartition, il faut évidemment la ramener à des corpus plus large. Pour les chiffres de l’ensemble des soutenances entre 2010 et 2018, toutes disciplines confondues[4], la part des femmes est passée de 42% en 2010-2011 à 44% en 2017-2018. L’histoire contemporaine ne semble pas se distinguer. Cependant, si on compare avec des tendances plus générales observables dans les sciences humaines et sociales, où 54% des doctorants sont des doctorantes, on peut estimer qu’il y a une sous-représentation des femmes dans les soutenances[5]. Les variations chronologiques semblent faibles au sein de notre échantillon, tout comme les variations par institution de soutenance qui peuvent paraître importantes, mais reposent souvent sur des corpus trop réduits. On sait, par ailleurs, que c’est moins au moment du doctorat, que dans la suite de la carrière, que les inégalités hommes-femmes se creusent drastiquement[6], la part de femmes maîtresses de conférences tombant ainsi à 31,7% et celles de professeures des Universités à 22,5% pour les chiffres de 2011 ; à 44% et 24% pour les chiffres[7] de 2017.

 

Géographie des soutenances et polarisation de la recherche

Le lieu de soutenance est connu pour l’ensemble de 969 soutenances. Ces chiffres dessinent une géographie bien particulière, que l’on peut résumer par une première distinction entre Paris et « province ».

Tableau n°2 – Une géographie des soutenances : Paris et la province

Près de 60% des soutenances ont lieu à « Paris », entendu au sens large, c’est-à-dire au sein des universités d’Île-de-France. Ce chiffre n’a pas de sens en soi, car il faut le comparer avec les populations étudiantes générales. Pour l’année 2017-2018, sur 1 516 692 étudiants inscrits dans les universités françaises (métropole et DROM-COM), 372 797 l’étaient en Île-de-France (24,5%)[8] ; si on se rapproche des thèses, sur l’ensemble de celles délivrées en 2011-2022, un tiers l’a été dans l’académie de Paris[9]. Il est difficile d’interpréter cette forte surreprésentation en ce qui concerne notre corpus, même si une part importante des thèses en lettres, langues et sciences humaines et sociales est soutenue en Île-de-France (43%)[10].

On comprend peut-être mieux cette très forte surreprésentation, en affinant cette géographie, et en prenant en compte les institutions de soutenance, qui révèle qu’en deçà de la catégorie englobante « Île de France », se cachent en réalité trois pôles très importants pour les thèses en histoire contemporaine.

Tableau n°3 – Les trois institutions majeures pour les soutenances (n=969)

On le voit, l’EHESS, l’Université Paris-Sorbonne et l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne concentrent, à elles trois, presque 40% des soutenances. Pour donner une image globale, on peut ainsi consulter le graphique suivant, qui détaille les résultats par Université.

Graphique n°3 – Les Universités où plus de dix soutenances ont eu lieu (en nombre, n=969)

Un certain nombre de choix et de biais orientent ces résultats. Tout d’abord, il a parfois été décidé d’adjoindre une université et l’IEP de la même ville (comme Strasbourg). Plus largement, dans la période 2014-2018, un certain nombre d’universités ont fusionné. Ainsi, « PSL Université Paris », pourtant créée en 2010, n’a commencé à enregistrer des thèse soutenues en son sein que tardivement. Cela complique le classement, comme pour le site académique d’excellence de « Université de Lyon », qui regroupe les université Lyon 1, Lyon 2, Lyon 3, mais aussi l’ENS de Lyon et Sciences Po Lyon…

 

Quelles bornes chronologiques pour les recherches ?

L’un des résultats essentiel de ce bilan est de donner une morphologie très précise des périodes étudiées en histoire contemporaine. Par définition, notre période historique est la seule qui s’étend petit à petit, posant sans cesse la question des définitions et des limites de l’histoire du temps présent, et de ce qu’est l’histoire contemporaine elle-même.

Pour obtenir le résultat le plus précis possible dans ce bilan, les thèses ont été codées décennies par décennies. Le plus souvent, le titre indique la chronologie elle-même. Pour le reste, des choix ont été opérés en fonction du titre. On peut donner quelques exemples au hasard : il a ainsi été considéré que la thèse suivante « LE PENNEC, Anna, ‘Cette catégorie d’êtres à jamais perdus’ : les femmes incarcérées dans les maisons centrales du sud de la France, XIXe-début XXe siècles, thèse soutenue à l’université de Toulouse Jean-Jaurès, le 7 décembre 2018 » étudiait la période 1800-fin des années 1910 ; la thèse suivante « COSOVSCHI, Agustin, Penser la crise dans la périphérie : les sciences sociales en Serbie et en Croatie durant la dissolution de la Yougoslavie, thèse soutenue le 18 juin 2018, à l’EHESS », a été codée comme étudiant les décennies 1980, 1990, 2000. À partir du titre, il peut se glisser des biais d’interprétation qui pourraient, là-encore, être atténués par la confrontation aux résumés des thèses. Pour autant, il semble que le tableau général (ci-dessous), soit relativement fidèle aux grandes tendances.

Graphique n°4 – Les grandes périodes de l’histoire contemporaine par décennies (n=934)

Ce graphique appelle plusieurs remarques. Le XIXe siècle représente 36% des recherches ; le XXe siècle 58% ; le XXIe siècle 6%. Il faut cependant prendre plusieurs éléments en considération : pour la période 1800-1815, voire pour la Restauration, ont été comptabilisées un certain nombre de thèses d’histoire moderne qui « empiètent », pourrait-on dire, sur l’histoire contemporaine, enjambant cette frontière poreuse. Il est à noter qu’une recherche de fond avait déjà été menée par Jean Le Bihan et Florian Mazel sur les périodisations canoniques de l’histoire, et sur ceux qui les dépassaient, que les auteurs appelaient des « transgresseurs[11] ». Si l’on retirait ces thèses, la part des décennies 1800-1810 serait sensiblement plus faible. Deuxième remarque : le pic de la décennie 1910 est à mettre au compte du Centenaire de la Grande Guerre 1914-1918, qui a donné lieu à un nombre de thèses important. Le bilan scientifique du Centenaire montre ainsi que 72 thèses ont été soutenues entre 2012 et 2018 concernant la Première Guerre mondiale[12].

On peut considérer qu’en dehors de ces deux remarques, le centre de gravité de l’histoire contemporaine – outre le déséquilibre entre XIXe et XXe siècle – repose sur les cinq décennies des années 1930 à la fin des années 1970. On peut ajouter que l’extension temporelle moyenne des thèses est de 60 ans. 119 thèses couvrent plus de 10 décennies ; 77 couvrent une seule décennie ou un nombre d’années moindre. Y a-t-il une évolution entre 2014 et 2018 ? Si les thèses de 2018 « mordent » un peu plus que celles des années précédentes sur le XXIe siècle, il n’y a pas réellement d’évolution majeure sur les grandes répartitions périodiques.

 

De l’histoire de France à une histoire mondiale ?

Il est possible, toujours à partir des titres des thèses soutenues, de s’intéresser aux aires géographiques et aux États nationaux étudiés dans les doctorats, pour dessiner une première photographie de l’internationalisation de la recherche. Il faut cependant garder en tête, dans ce panorama, l’importance des thèses en civilisations dans notre corpus, qui doivent jouer pour une plus grande ouverture internationale du corpus.

Graphique n°5 – Les aires géographiques et nationales étudiées (n=969)

Plus de deux tiers des thèses ne concernent qu’un seul espace national. Au sein de ces 674 thèses, 404 concernent la France ; l’hexagone représente, lorsqu’on considère également les thèses qui concernent deux ou plusieurs pays, 620 résultats, soit 64% des thèses soutenues. Des évolutions sont-elles perceptibles, à l’heure où, dans le grand public, tendent à s’affronter le « roman national » et « l’histoire mondiale » ? Là encore, sur cinq ans, les évolutions sont faibles, et la variabilité importante d’années en années. La France représente ainsi, lorsqu’elle est étudiée seule, toujours entre 40 et 45% des territoires étudiés. De la même manière, le croisement de cette ouverture internationale des thématiques avec les institutions de soutenance ne donne pas de résultats particulièrement clivants.

La répartition par zone géographique est éclairante. Si l’on considère l’ensemble des zones étudiées (et donc un résultat largement supérieur à 969, puisque « n » atteint alors 1314 zones étudiées au total), on obtient le résultat suivant :

Tableau n°4 – Les pays et aires géographiques étudiés

Un certain nombre de catégories peuvent paraître arbitraires. Ainsi, la catégorie « Empire colonial » peut sembler séparer démesurément l’histoire de la France et celle de ces colonies, mais il est à noter que dans la formulation même des titres des thèses, cette distinction apparaissait souvent comme évidente, que ce soit dans la période coloniale ou postcoloniale : on voit ici le dynamisme des « post-colonial studies ». Qui plus est, les deux catégories « France » et « colonial » ont souvent été couplées. On peut ainsi donner l’exemple des deux thèse suivantes : « SALMON, Élodie, L’Académie des Sciences coloniales. Une histoire de la « République lointaine » au XXe siècle, Thèse de doctorat en Histoire moderne et contemporaine, soutenue le 16 juin 2018 à Sorbonne université » ; « TRAN, Xuan Tri, La plantation d’hévéa en Cochinchine (1897-1940), thèse soutenue le 19 janvier 2018, à Aix Marseille université ».

Pour le reste, il est à noter une certaine faiblesse de l’intérêt porté à l’Europe comme entité, au profit de déclinaisons plutôt nationales, l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni arrivant en tête. De très nombreux pays sont pris en compte par la recherche française – de l’Éthiopie à la Bolivie en passant par le Turkménistan ou la Corée. À noter que tous les pays Européens sont représentés, à l’exception notable du Portugal et des Pays-Bas.

23 thèses prennent pour théâtre le monde entier, et elles sont souvent liées à une histoire des structures économiques de la mondialisation. Cet ensemble, qui représente donc 2,4% du total, est donc loin de constituer une tendance dominante.

 

Quelle répartition entre les sous-champs ?

C’est l’un des codages les plus arbitraires de cette enquête. Il a été tenté, encore une fois, uniquement à partir des titres, un codage en fonction des grands « sous-champs » de l’histoire contemporaine, que sont l’histoire politique, l’histoire sociale, culturelle, économique… Le choix même de ces catégories peut être critiqué, dans la mesure où apparaissent certains domaines comme l’histoire environnementale ou l’histoire de l’éducation, alors qu’on pourrait reprocher d’en laisser d’autres de côté. Pour essayer d’être le plus exhaustif possible, un codage multiple a été réalisé, car il était souvent impossible de réduire une thèse à un sous-champ. On aboutit ainsi à une moyenne de presque deux domaines par thèses, pour un total de 1845 catégories.

On peut donner quelques exemples, au hasard : la thèse de « GIANKOLA, Mirko, La croix et l’épée. Église et politique en Argentine et au Chili de Vatican II aux régimes militaires, thèse soutenue le 24 octobre 2017, à l’EHESS », a ainsi été répertoriée dans les catégories « histoire politique » et « histoire religieuse » ; la thèse de « POUGET, Benoît, Un choc de circulations. La marine française face au choléra en Méditerranée (1831-1856). Médecine navale, géostratégie et impérialisme sanitaire, thèse soutenue le 11 décembre 2017, à l’Université d’Aix-Marseille » a été classée dans quatre catégories : « histoire coloniale » ; « relations internationales » ; « histoire des sciences et des techniques » ; « histoire militaire » ; enfin, la thèse de « LIXANDRU, Doru-Adrian, Le monarchisme carliste dans la Roumanie des années 1930 : Autoritarisme, nationalisme et modernisation, thèse soutenue le 9 janvier 2018, à l’EHESS » n’a été classé que dans « histoire politique ».

On perçoit bien les limites de l’exercice. La classification n’a pas été faite en fonction des méthodes historiques ; c’est bien – malheureusement – un rangement par objet. Qui plus est, les différentes catégories ont été entendues au sens large : l’histoire politique regroupe ainsi l’histoire partidaire, l’histoire de l’État, de l’administration, des politiques publiques… L’histoire sociale comprend toutes les thèses qui étudient de grands groupes ainsi que les travaux traditionnels sur les mouvements ouvriers, le monde du travail… À cela, il faut ajouter que le choix même du corpus général, qui ne regroupe pas, on le rappelle, uniquement des thèses de la section CNU n°22, peut aboutir à la surreprésentation de certains sous-champs. Ainsi, parmi les 51 thèses classées dans « histoire de l’éducation », un certain nombre l’a certainement été en section 70 (sciences de l’éducation). Une fois ces limites prises en compte, le résultat général est le suivant.

Graphique n°6 – Les grands domaines d’études (en %, n=1845)

L’histoire politique reste, avec l’histoire sociale, dominante, ce qui peut pondérer les impressions partagées par de nombreux sous-champs de perdre telle ou telle position de prééminence. Pour cela, il faut évidemment introduire de la diachronie, mais qui, comme pour l’ensemble des résultats de cette enquête, s’avère décevante.

Tableau n°5 – Les domaines d’études[13] : évolutions sur cinq ans (en %, n=1488)

On peut constater une légère augmentation de l’histoire politique, mais est-elle vraiment si marquée, surtout en regard de la perméabilité importante du codage effectué ? De même, les variabilités importantes pour l’histoire culturelle, l’histoire coloniale, l’histoire religieuse ou les biographies ne donnent pas l’impression d’une tendance réellement cohérente sur les cinq années. La seule série de données réellement croissante est celle de « l’histoire des femmes et études de genre », qui passe donc de 0,52% à 3,64%.

 

Conclusion

Ce premier bilan apporte donc une photographie intéressante de la recherche doctorale en France, tout en devant être largement complété et affiné dans les années à venir. Cela permettrait, dans un premier temps, d’obtenir une diachronie plus fine et plus signifiante, là où ces cinq années apparaissent, sauf à la marge, presque stationnaires. On peut y lire une certaine inertie – assez peu étonnante – en ce qui concerne les thèses.

De la même manière, un corpus plus large permettrait des croisements plus significatifs. Ce sera certainement l’objet d’une future enquête, l’AHCESR allant poursuivre son travail de recensement.

 

Compléments

Nous proposons, téléchargeable ici, deux fichiers de tableaux de croisements de données, qui n’ont pas donné de résultats extrêmement décisifs, mais peuvent intéresser les lecteurs :

La périodisation des thèses en fonction des sous-champs (chiffres absolus et pourcentage).

La répartition des sous-champs en fonction des Universités (chiffres absolus et pourcentage).

 

Pour citer cet article : Nicolas Patin, « Les thèses soutenues en histoire contemporaine (2014-2018). Un bilan », in : Carnet de l’Association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche, URL : https://ahcesr.hypotheses.org, publié le 29 janvier 2021.

 


[1] https://ahcesr.hypotheses.org

[2] L’équipe était constituée de ces trois personnes entre 2014 et 2017. Ils ont été rejoints en 2018 par Julie d’Andurain (professeure, Université de Lorraine), Stéphane Lembré (maître de conférences, ESPE Lille) et Clément Thibaud (Directeur d’études, EHESS). Manuela Martini est professeure à l’Université Lyon 2 ; Claire Lemercier est directrice de recherche au CNRS/CSO ; Nicolas Patin est maître de conférences à l’Université Bordeaux Montaigne).

[3] Voir Évolution du nombre de doctorats délivrés par nationalités entre 2001-2002 et 2011-2012, dans MESR, L’état de l’emploi scientifique en France, rapport 2014, p. 38. URL : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Personnels_ens._sup_et_chercheurs/20/1/rapport_emploi_scientifique_2014_382201.pdf [consulté le 3 janvier 2020].

[4] Isabelle Kabla-Langlois (Dir.), MESRI, Enseignement supérieur, rechercher et innovation. Vers l’égalité femmes-hommes ? Chiffres clés, 2019, p. 23. Consultable à l’adresse suivante : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid35339-cid127382/esri-chiffres-cles-de-l-egalite-femmes-hommes-parution-2018.html

[5] « Répartition des doctorants par sexe et par discipline en 2012-2013 », MESR, L’état de l’emploi scientifique en France, rapport 2014, p. 41. URL : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Personnels_ens._sup_et_chercheurs/20/1/rapport_emploi_scientifique_2014_382201.pdf [consulté le 3 janvier 2020].

[6] MESR, Égalité entre les femmes et les hommes. Chiffres clés de la parité dans l’enseignement supérieur et la recherche, 2013, p. 3. URL : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Charte_egalite_femmes_hommes/90/6/Chiffres_parite_couv_vdef_239906.pdf [consulté le 3 janvier 2020].

[7] Clara Le Stum, « Enseignant-chercheur : un métier qui se féminise fortement mais… », Les Échos, 26 décembre 2018. URL : https://start.lesechos.fr/emploi-stages/diversite/enseignant-chercheur-un-metier-qui-se-feminise-fortement-mais-13228.php [consulté le 3 janvier 2020].

[8] MESRI, Atlas régional. Les effectives d’étudiants en 2017-2018, édition 2019, URL : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid147537/atlas-regional-les-effectifs-d-etudiants-en-2017-2018-edition-2019.html [consulté le 3 janvier 2020].

[9] « Doctorants et régions en 2012-13 », MESR, L’état de l’emploi scientifique en France, rapport 2014, p. 122. URL : https://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Personnels_ens._sup_et_chercheurs/20/1/rapport_emploi_scientifique_2014_382201.pdf[consulté le 3 janvier 2020].

[10] Ibid., p. 123.

[11] Jean Le Bihan, Florian Mazel, « La périodisation canonique de l’histoire : une exception française ? », dans : Revue historique, 2016, n°680, pp. 785-812, ici p. 790.

[12] Simon Catros, « La recherche sur la Grande Guerre dans le temps du Centenaire. État des lieux et perspectives », dans : Arndt Weinrich (coord.), Quel bilan scientifique pour le Centenaire 14-18, Centre international de Recherche de l’Historial de la Grande Guerre de Péronne, Mission du Centenaire 14-18, 2019, p. 64. Une publication de ce bilan est à paraître pour 2020 (version de travail de juillet 2019).

[13] Dans l’ordre, les catégories sont donc : « histoire politique » ; « sociale » ; « culturelle » ; « économique » ; « relations internationales » ; « coloniale et post-coloniale » ; « histoire des sciences et des techniques » ; « urbaine » ; « histoire religieuse et histoire des religions » ; « biographie » ; « militaire » ; « environnementale » ; « histoire des femmes et études de genre » ; « histoire de l’éducation ».