Demande de l’AHCESR concernant l’accès aux archives de la période 1940 à 1970

La mise en place dans les centres d’archives publiques de l’Instruction générale interministérielle 1300 pose un problème particulier aux chercheurs en histoire contemporaine, parmi lesquels, les étudiants présents et à venir de cette discipline dont les études sont menacées à très court terme. Ces derniers se voient imposer des refus de communication ou plus encore des délais d’attente incompatibles avec le temps imparti aux travaux universitaires (une ou deux années pour les masters, trois ou quatre pour les thèses). L’actuelle situation sanitaire qui a conduit à la fermeture des centres d’archives ajoute encore des nouvelles contraintes à cette situation. Dans un texte d’alerte, l’Association des Archivistes Français s’inquiétait d’un « crépuscule sur les archives ». On s’inquiète que le rideau ne tombe sur l’histoire du temps présent.

Avec l’interprétation de l’IGI 1300 qui prévaut depuis janvier 2020, sont devenus inaccessibles, totalement ou partiellement, des fonds soumis pourtant au délai légal d’ouverture de 50 années. Sont concernés des fonds portant sur la période 1940 à 1970, concernant, par conséquent, la Seconde Guerre mondiale, celle des guerres coloniales, l’ensemble de la IVe République et les débuts de la Ve République gaulliste. C’est un chantier immense qu’il va falloir mettre en œuvre dans les centres d’archives pour déclassifier un à un des documents « secrets » dispersés dans les fonds de ces périodes. Accaparés par cette tâche, les archivistes s’y consacreront au détriment du classement de nouveaux fonds.

Pour les étudiants comme pour les autres chercheurs, tant nationaux qu’étrangers, la réalité est la fin d’un accès à des archives habituellement consultées ou l’annonce d’un délai supplémentaire et de durée inconnue pour instruire les demandes de documents. Est-ce un effet domino ? Les demandes de dérogations des archives postérieures à 1970 connaissent de nouveau des délais de réponse particulièrement longs et semble-t-il des refus des dérogations plus nombreux. L’histoire du temps présent risque ainsi d’être renvoyée à une situation antérieure à la loi de 1979.

La réouverture des centres d’archives reste très problématique en temps d’épidémie. Il faut pourtant imaginer les nouveaux sujets de Master et de thèse et organiser le travail de recherche dès que la reprise sera possible. Il faut pourtant pour les chercheurs de France et du monde entier prévoir des séjours en archives, organiser des demandes de financement, mettre en place des projets collectifs. Aujourd’hui c’est tout à fait impossible et l’épidémie de Covid-19 n’en est pas la seule cause.

La situation produite par l’interprétation de l’IGI-1300 qui enjoint aux centres d’archives de déclassifier tous leurs documents tamponnés « secret » depuis 1940 fait peser un grave danger sur le rapport à l’archive des historiens du contemporain. L’AHCESR craint qu’elle ne décourage le travail sur les sujets sensibles d’après 1940 et qu’elle n’implique un repli de l’histoire contemporaine sur la période précédant la Seconde Guerre mondiale.

L’AHCESR prie les directeurs des Centres d’archives de bien vouloir fournir à la communauté des historiens contemporanéistes les informations suivantes, dans des délais qui leur permettent d’organiser la prochaine rentrée universitaire :

  • Préciser par centre (Archives nationales, Service Historique de la Défense nationale, Archives diplomatiques, Archives de la Préfecture de police, archives départementales, etc.) les fonds et périodes ouverts pouvant faire l’objet de proposition de travaux. Ou fournir une liste précise des fonds pour lesquels il est désormais nécessaire d’attendre une déclassification formelle, en mentionnant notamment les dates extrêmes des fonds concernés.
  • Lorsque des préinscriptions sont exigées dans les centres d’archives, donner une priorité d’accès aux étudiants qui doivent finir leurs travaux, aux chercheurs et aux étudiants étrangers qui sont pour une durée de séjour limitée en France, la réalisation de l’ensemble de ces travaux étant gravement menacée par plusieurs mois de fermeture des centres d’archives.

Au moment où les conséquences imprévues des décisions de déclassification rendent, de fait, inaccessibles les sources primaires dont nous avons besoin pour construire nos sujets et ceux de nos étudiants, les services publics d’archives sont, dans l’immédiat, notre seul recours pour sauvegarder la recherche scientifique. Nous demandons leur soutien pour ne pas laisser en friches des pans entiers de l’histoire contemporaine.