Brève mise au point d’un historien de l’éducation sur la place de la recherche dans les masters MEEF Histoire-géographie d’aujourd’hui, par Jean-François Condette

Brève mise au point d’un historien de l’éducation sur la place de la recherche dans les masters MEEF Histoire-géographie d’aujourd’hui (novembre 2015 – assemblée générale de l’AHCESR « Former à et former par la recherche »)

Jean-François Condette, professeur en histoire contemporaine, Laboratoire CREHS (EA 4027) de l’Université d’Artois

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La mise en place de la masterisation de la formation des enseignants, qui a mis fin en 2010 à l’ancienne année de préparation au concours (PLC1) et à l’année de stage et de formation professionnelle (PLC2), rencontre encore une forte opposition dans la corporation des historiens et nourrit les nostalgies d’un « temps jadis » plus respectueux des connaissances disciplinaires nées de la recherche historienne. L’ancien déroulé de la formation semble à beaucoup plus logique et plus respectueux des savoirs « savants » avec une première année centrée sur la préparation des épreuves du CAPES théorique, épreuves alors très « académiques » (dissertation traditionnelle, épreuve classique de commentaire de documents ; leçon, etc.) puis une seconde année plus nettement professionnelle, pour les seuls lauréats du concours théorique, fondée sur les stages en responsabilité et de pratique accompagnée et sur les enseignements didactiques au sein des ex-IUFM.

Si cette organisation ancienne avait pour elle la vertu non négligeable de la simplicité, elle avait contre elle, outre le fait de ne pas correspondre aux normes européennes, de cumuler deux handicaps. Ces années de PLC1 et de PLC2 n’étaient validées, malgré le travail intense exigé des étudiants, par aucune certification et les étudiants pouvaient ainsi être amenés à passer plusieurs fois le CAPES théorique en restant bloqués au niveau licence. Dans le même temps, les mutations considérables du métier d’enseignant dans un système scolaire massifié où l’ensemble d’une classe d’âge passe désormais par le collège « unique » (loi Haby de 1975) mais aussi se retrouve de plus en plus dans les lycées, demandaient une réforme de la formation des enseignants qui puisse renforcer la maîtrise d’un certain nombre de compétences professionnelles majeures, venant rappeler qu’enseigner est aussi « un métier qui s’apprend » et que le seul savoir « académique » ne suffit pas. Dans un espace désormais mondialisé, soumis à la « tyrannie de la communication » (Ignacio Ramonet) et à la force de l’image instantanément diffusée via les nouveaux médias, dans une société française également soumise aux fractures et aux tensions, face à une jeunesse qui peine à trouver sa place, le métier d’enseignant d’histoire-géographie s’est aussi fortement complexifié. Dès lors le bref stage (deux fois une semaine ou deux fois quinze jours en PLC1) ne pouvait suffire à « initier » le jeune étudiant à son futur métier. La découverte, en situation, de la réalité du métier pour le lauréat du CAPES en septembre de l’année de PLC2 relevait, pour beaucoup, d’un pari désormais très risqué. L’idée d’un continuum renforcé de formation qui, de la dernière année de licence (module de préprofessionnalisation) aux deux années de master (master 1 et master 2) associe davantage les dimensions académiques et professionnelles, est alors apparue comme une possible solution.

Qu’en est-il de l’impact de cette réforme quelques années plus tard, lorsque l’on se place au niveau de la place de la recherche dans la formation du futur enseignant d’histoire-géographie ? Nous insistons ici sur quatre points principaux en voulant éviter les redites par rapport aux interventions des autres collègues de la journée, faisant donc le choix d’une mise en perspective de longue durée.

Un lien fort entre la formation des enseignants et la recherche historienne depuis la fin du XIXe siècle

Il n’est pas inintéressant d’insister sur le fait que, dans les facultés des lettres de la fin du XIXe siècle, c’est la réforme du concours de l’agrégation, qui se définit comme un concours de recrutement d’enseignants, et la réforme de la licence ès lettres, qui était souvent le grade possédé par beaucoup d’enseignants dans les collèges et les lycées, qui agissent comme des accélérateurs de l’activité de recherche. Les facultés des lettres sont pendant une bonne partie du XIXe siècle peu dynamiques au niveau de la recherche (voir l’histoire de la thèse de doctorat, qui fut longtemps une « bien petite chose ») et sont davantage des machines à délivrer les grades (baccalauréat et licence surtout) et des lieux de conférences mondaines que des lieux de recherche, même s’il existe déjà des enseignants-chercheurs. C’est en partie par la réforme des épreuves de l’agrégation d’histoire-géographie que la recherche s’affirme parmi les étudiants, dans un concours qui cherche à trouver une forme d’équilibre entre contrôle des connaissances scientifiques, maîtrise des méthodologies historiennes et vérification des aptitudes pédagogiques du futur enseignant. Le concours apparaît très lourd, exigeant un travail monstrueux. La réforme du 8 juin 1891 décide d’une admissibilité à deux degrés. Après les écrits traditionnels, les admissibles doivent subir l’épreuve de la « thèse ». Sur un sujet choisi dix mois à l’avance et qui donne lieu à la rédaction d’un petit mémoire de « recherche » par l’étudiant, le jury choisit une question que doit traiter le candidat. Les admis à cette épreuve poursuivent ensuite par les épreuves d’admission plus traditionnelles (leçons, etc.). On voit la logique de la réforme, mais son effet est très mal vécu par les étudiants car elle signifie un alourdissement encore plus important de l’année de préparation. L’arrêté du 28 juillet 1894 décide ensuite de mettre fin à la révision de l’histoire universelle, forcément survolée, et de délimiter des questions plus précises (qui pourront aussi être davantage travaillées en recherche par les universitaires). L’arrêté décide également – c’est le plus important – de réformer de nouveau les épreuves et de supprimer la « thèse ». Les historiens servent ici de « cobayes » au ministère qui décide, toujours par l’arrêté du 28 juillet 1894, d’imposer aux agrégatifs la possession du diplôme d’études supérieures (DES) qui se prépare pendant un an dans les facultés, après la licence, sous la direction d’un professeur. Né en 1886, le DES repose sur la rédaction d’un mémoire de recherche original, sur sa soutenance et sur la réussite à différentes autres épreuves de méthodologie. Seuls les titulaires de ce DES peuvent désormais s’inscrire à l’agrégation, le diplôme attestant de la maîtrise des méthodologies historiennes, en même temps qu’il dynamise localement les activités de recherche dans les facultés. Le concours de l’agrégation peut alors être allégé de ce type d’épreuves et valoriser les « leçons ». Ce système est ensuite imposé aux autres disciplines dans les facultés des lettres et des sciences (arrêté du 18 juin 1904) et se maintient dans le second vingtième siècle avec l’exigence de la maîtrise pour passer l’agrégation. L’initiation à la recherche dans les facultés est ainsi en partie née de la réforme du concours de recrutement des enseignants qu’est l’agrégation, si l’on excepte les rares étudiants qui s’engagent en doctorat alors que se renforce aussi le poids de la recherche scientifique pour accéder aux postes d’enseignants-chercheurs.

Dans le même temps, pour les nombreux étudiants qui deviennent enseignants avec la seule licence ès lettres, un processus complexe et lent de spécialisation s’opère également au sein des facultés par une série de réformes progressives qui mettent fin à l’ancienne licence très généraliste du XIXe siècle où le licencié était en quelque sorte « bon à tout faire » par la maîtrise assez superficielle de nombreuses disciplines (la licence était un « super-baccalauréat » très marqué par les humanités classiques). Le décret du 25 décembre 1880 distingue désormais différentes licences (philosophie, lettres, histoire-géographie), même si les épreuves spécialisées sont encore accompagnées de nombreuses épreuves communes (composition française, explications de textes en français, version latine, etc.). Le décret du 8 juillet 1907 poursuit le processus de spécialisation de la licence ès lettres mention histoire-géographie et ne conserve comme épreuve commune que la redoutable version latine, qui disparaît avec le décret du 20 septembre 1920. Peu à peu l’apprenti licencié en histoire-géographie fait essentiellement de l’histoire et un peu de géographie. Les études réalisées gagnent en précision et se connectent bien davantage, se nourrissent de la recherche historienne.

Pour les agrégés comme pour les licenciés qui se retrouvent dans les lycées et les collèges, dans une période où l’accès à l’enseignement secondaire demeure très réduit pour les jeunes, la formation pédagogique est quasi-inexistante. À partir des années 1880-1890, les étudiants de licence, en particulier des boursiers, doivent suivre quelques conférences de pédagogie et de présentation du système éducatif (législation scolaire, etc.). Après bien des débats, l’arrêté du 18 juin 1904 impose aux agrégatifs un stage en établissement scolaire, mais qui demeure très court et qui est réalisé pendant l’année de préparation du concours (le plus souvent quinze jours).

Une place très relative de la recherche dans la formation des certifiés entre 1950 et 1991

Si l’importance de la recherche est maintenue sans discontinuité notoire entre la fin du XIXe siècle et les années 1990 dans la préparation des futurs agrégés d’histoire à la fois dans la préparation des questions académiques de l’écrit, qui se nourrissent des travaux les plus récents de la recherche (d’où l’impressionnante bibliographie pour chaque question), et par l’obligation d’avoir soi-même été initié à la recherche par l’écriture d’un mémoire de maîtrise, la création d’un nouveau concours en 1950 vient proposer un autre mode d’accès qui déconnecte davantage préparation du métier d’enseignant et recherche historienne. La création du Certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement secondaire (CAPES) par le décret du 1er avril 1950 met en place un nouveau concours de recrutement. Dans une première version de ce concours, assez éphémère, les logiques sont même inversées. Seules les personnes ayant donné satisfaction dans une longue période de stage pratique sont autorisées à passer les épreuves écrites puis orales qui ont une très forte dimension didactique. Le décret du 17 juin 1952 revient ensuite à une version plus classique des épreuves avec une première année de préparation aux épreuves théoriques à l’université (le CAPES se transformant en quelque sorte en une sous-agrégation) et une seconde année de CAPES pratique, pour les lauréats, en établissement. Les modalités de cette seconde année changent à plusieurs reprises (voir J.-F. Condette, Histoire de la formation des enseignants) mais reposent sur des stages soit de pratique accompagnée dans les classes d’un maître de stage, soit en responsabilité. La nouveauté est la création en 1952, par le même texte, des centres pédagogiques régionaux (CPR) qui proposent, très vite sous la direction des inspecteurs pédagogiques régionaux (fonction fondée en 1964), des séances de formation disciplinaire (les progressions, l’usage du document, etc.) et générale (la prise en compte de l’adolescent, etc.) et d’analyse de pratique. Dans cette version de la formation d’un certifié d’histoire-géographie qui dure de 1952 à 1991 (mise en place des IUFM), il n’y a plus aucune obligation d’avoir rédigé un mémoire de recherche comme préalable à l’entrée dans la carrière enseignante. Il faut bien insister sur ce point. Certes beaucoup d’étudiants qui viennent préparer le CAPES passent d’abord par une année de DES-maîtrise, mais il s’agit là d’un choix personnel, non d’une obligation. Le lien avec la recherche est par contre affirmé par la préparation des questions académiques (les quatre questions) où l’étudiant doit se tenir au courant des travaux les plus récents. Mais c’est davantage l’enseignant-chercheur qui prépare aux questions que l’étudiant lui-même qui noue ce contact avec la recherche en train de se faire.

Le tournant des instituts universitaires de formation des maîtres (1991-2010)

La loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989 (loi Jospin), parmi ses nombreuses décisions, met fin aux anciens systèmes de formation des enseignants et à la dualité historique entre primaire et secondaire. Les écoles normales comme les CPR sont fermés et remplacés par les IUFM, expérimentaux dès 1990 dans trois académies, puis généralisés en septembre 1991. Dans un contexte de forte hausse des effectifs d’élèves dans le secondaire (surtout en lycée), élèves qui n’ont pas forcément la même appétence pour les disciplines traditionnelles, et de départ à la retraite de nombreux enseignants, il s’agit de recruter des cohortes nombreuses de nouveaux enseignants en installant une nouvelle formation qui met en avant la notion de professionnalisation et celle de compétences (rapport Bancel d’octobre 1989, qui dégage sept compétences majeures). Il s’agit désormais de travailler à la formation d’un « praticien réflexif » (selon la formule de D. Schön) capable d’analyser avec recul et esprit critique ses pratiques, tout en renforçant les apports des didactiques qui s’affirment durant ces mêmes années en France (leurs apports étant nombreux pour la formation des enseignants, même si parfois certaines approches se transforment rapidement en jargon plus ou moins ésotérique inadapté pour les stagiaires et les formateurs de base). Le schéma, classique depuis 1952, d’une première année très tournée vers la préparation des épreuves théoriques du CAPES est maintenu, même si l’épreuve orale sur dossier tente, sous différents schémas successifs, de faire une place plus forte aux dimensions professionnalisantes qui demeurent, pour le CAPES d’histoire-géographie, à la marge du concours. La seconde année, elle, est très fortement professionnalisée, autour du stage en responsabilité et du stage de pratique accompagnée, des cours de didactique, des séances d’analyse de pratique et d’une formation générale (sur le système éducatif, les adolescents, etc.) qui a beaucoup de mal à trouver sa cohérence et suscite souvent les critiques des stagiaires. C’est dans cette année de PLC2 qu’est affirmée, à partir de 1991, pour toutes et tous, la nécessité de rédiger et de soutenir publiquement un mémoire de recherche à orientation professionnelle qui permet de mesurer la capacité du stagiaire à prendre de la distance et à user de son esprit critique face à une question ou à une situation professionnelle (circulaire du 2 juillet 1991), tout en se référant à l’état de la recherche qui existe sur cette question au niveau des publications scientifiques. Par rapport à l’absence antérieure de toute écriture réflexive d’ampleur (depuis 1952), le progrès est réel, même si les mémoires soutenus sont de valeur et d’intérêt inégal et ne correspondent plus aux « canons » attendus de la corporation historienne, habituée dans les universités à encadrer des mémoires de recherche fondés sur des sources primaires souvent archivistiques de grande ampleur. Pour résumer à gros traits, on peut dire que l’apprenti enseignant d’histoire est alors confronté de deux manières à la recherche : en première année, de manière indirecte par la lecture des articles et travaux de sa discipline pour préparer les épreuves théoriques du concours ; en seconde année, plus directement mais dans une dimension plus didactique, pour la rédaction d’un mémoire professionnel de taille somme toute réduite. Cette affirmation d’une autre recherche (didactique), au sein d’une autre structure (IUFM) que l’université traditionnelle, ne va pas sans crispations et sans querelles territoriales, on s’en doute.

Depuis 2010 : IUFM-ESPE, masterisation et recherche pour les enseignants d’histoire

Pour ne pas faire double emploi avec les propos de Noëlline Castagnez dans cette même table ronde, nous n’insistons que sur quelques éléments constitutifs de la réforme de la masterisation mise en place en septembre 2010, mais dont les modalités pratiques ont été plusieurs fois modifiées dans le détail des contenus de formation des deux années (M1 et M2) et dans le calendrier des épreuves d’un concours lui-même modifié. La période est en effet complexe et la stabilité ancienne des modalités d’accès à la fonction enseignante du secondaire semble bien lointaine. Si la certification de l’année de préparation du concours et de l’année de stage pratique est dans l’ensemble bien acceptée, la volonté de mettre en place un continuum de formation plus poussé (L3-M2) et d’associer de manière plus étroite les dimensions disciplinaires-académiques et les dimensions didactiques-professionnelles dès l’année de M1, pour professionnaliser davantage les formations d’enseignants et répondre aux nouvelles épreuves du CAPES, pose davantage de problèmes concrets alors qu’il faut, pour rester dans un cadre horaire « raisonnable », réduire les volumes horaires anciennement dédiés aux questions dites théoriques du CAPES d’histoire-géographie. Sans juger ici de la pertinence des choix ministériels, il faut bien admettre que la réforme de la masterisation, si elle permet aux étudiants d’obtenir une certification et si elle permet aussi de les initier plus tôt aux logiques professionnelles, a débouché sur la mise en place d’années très délicates où se percutent souvent les logiques propres à la préparation des épreuves écrites et orales d’un concours spécifique (qui a ses exigences propres : parité du nombre des questions entre histoire et géographie, tradition de questions larges et complexes qui changent régulièrement, présence de l’éducation civique-ECJS, etc.) et les logiques de la masterisation, de ses examens semestrialisés et du « saucissonnage » en unités d’enseignements nombreuses. D’où une surcharge de travail et un réel sentiment d’éclatement de l’année universitaire, scandée par de multiples évaluations.

Dans un tel schéma, si le discours officiel insiste sur la nécessité impérieuse de former à et par la recherche, le temps réellement consacré par l’étudiant à la recherche est forcément contraint. Si certaines unités d’enseignement (UE1 qui est l’UE académique ; UE2 qui est l’UE didactique et épistémologique) sont le plus souvent assez fortement irriguées par la recherche, les enseignants qui les assurent nourrissant leurs cours des apports de la recherche, tout comme nombre de formateurs assurant l’UE de culture commune (UE4), s’il existe bien une UE d’initiation à la recherche en M1 puis en M2 (UE3), son volume horaire est très variable selon les disciplines et les ESPE de France alors que son contenu réel est aussi très différent d’un endroit à un autre (séminaire centré sur les dimensions didactiques, sur l’épistémologie, sur « le tour de table », etc.). La place du mémoire de recherche pose à l’évidence problème, même si la note de cadrage du ministère datée du 28 octobre 2015 vient rappeler l’importance de ce « travail scientifique de nature réflexive » et « l’indispensable adossement de la formation à la recherche ». Comme le note l’article 7 de l’arrêté du 27 août 2013 fixant le cadre national des formations dispensées au sein des masters MEEF (métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation), la formation « s’appuie sur une activité de recherche, qui permet de se familiariser avec les différents aspects de la démarche scientifique. L’activité de recherche doit, au-delà du contenu disciplinaire, permettre l’acquisition de compétences en lien avec le métier d’enseignant ou de personnel d’éducation, notamment par l’observation et l’analyse des pratiques professionnelles ». L’article 19, quant à lui, exige de chaque étudiant un mémoire de master « qui doit avoir un contenu disciplinaire et de recherche en relation avec la finalité pédagogique et les pratiques professionnelles », précisant que le mémoire « prend appui sur le stage de la formation en alternance et sur d’autres enseignements au sein de la formation ». Dès lors, le mémoire est présenté comme « un outil décisif pour la formation des enseignants et personnels d’éducation des masters MEEF » par la note de cadrage du 28 octobre 2015, reposant sur une démarche scientifique qui propose une problématisation, un va-et-vient entre données empiriques et confrontation à l’état des connaissances (revue de travaux), une méthodologie de recueil de données, un recueil de corpus et une analyse critique. Le sujet de recherche doit être en lien avec la pratique professionnelle et la question traitée dans le mémoire de M2 « sera introduite dans toute la mesure du possible dès la première année de master ». Le mémoire devient dès lors le pivot de la formation en alternance se nourrissant de l’activité professionnelle de l’étudiant.

Ce discours ambitieux, confronté à l’usage des années de formation mises en place depuis la réforme de 2010 rénovée par celle de 2013, vient cependant percuter le réel assez souvent et pose question à l’historien à un triple point de vue. La temporalité spécifique qui est celle de la recherche et qui prend du temps nécessite de laisser mûrir la réflexion, de la nourrir de lectures nombreuses, de prendre parfois des chemins de traverse pour revenir au but fixé, est malmenée par les rythmes saccadés et très rapides des deux années de master qui sont très chargées. Dès lors, nombre d’étudiants avouent, parfois avec malice mais souvent avec tristesse, avoir dû sacrifier le mémoire de recherche, s’y être mis à la dernière minute pour faire le minimum demandé par manque de temps. Le second obstacle est celui du manque de lisibilité du continuum souhaité entre M1 et M2. Se positionner dès le M1 sur un sujet de recherche précis n’est pas facile alors qu’on est d’abord centré sur la réussite au concours du CAPES, alors que l’on ne sait pas de plus si l’on sera, l’année suivante, en M2, stagiaire en situation en collège ou en lycée (donc lauréat du concours, assuré d’un long stage en responsabilité) ou simple étudiant en train de repasser le concours. Le choix d’un sujet reste ici soumis à de multiples aléas et ne peut donc que rester très (trop) large. Le troisième point est celui d’un deuil qui apparaît presque impossible ou qui est assurément très douloureux pour l’historien et qui se nourrit des deux limites ci-dessus évoquées. Le manque de temps de l’étudiant, la lourdeur du master et ses évaluations multiples, la difficulté du continuum M1/M2, associés au choix politique réaffirmé de lier étroitement cette initiation à la recherche et le stage avec expérimentation sur le terrain (souvent d’ailleurs le mémoire valide à la fois l’UE3-recherche et l’UE5-stage) débouchent sur une forte « réduction des possibles » et sur le choix de sujets standardisés vite répétitifs. Le travail de recherche sur archives (dans toute leur diversité : des archives manuscrites aux témoignages oraux en passant par les manuels scolaires anciens, etc.), travail constitutif de l’historien mais aussi, nous le pensons, de tout enseignant d’histoire digne de ce nom qui doit, au cours de sa formation, être entré au contact de l’archive, avoir « goûté » aux archives, avoir réfléchi à la manière dont, à partir de ces archives, l’historien compose son récit, croisant ses sources et les analysant avec esprit critique en les confrontant aux écrits des autres historiens, risque fort, au nom du manque de temps et de sa non application immédiate dans la classe, d’être placé au rang des vieilleries d’un autre âge et remisé dans les oubliettes des écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE). À ce niveau, l’historien ne peut qu’être vigilant sur les risques d’une telle évolution.

Pour aller plus loin :

– Condette Jean-François, Histoire de la formation des enseignants en France aux XIXe et XXe siècles, Paris, L’Harmattan, 2007, 354 p.

– Condette Jean-François, « Qualité native, éloge de l’expérience ou nécessaire formation professionnelle : la difficile naissance du stage pédagogique dans l’enseignement secondaire français (1880-1914) », Spirale, revue de recherche en éducation, Lille, n° 46, 2010, pp. 7-29.

– Condette Jean-François, « Le recrutement et la formation initiale des enseignants d’histoire-géographie en France au XXe siècle », Mélanges de l’Ecole française de Rome : Italie et Méditerranée, Mondes modernes et contemporains, n°127-2-2015, 18 p. (en ligne : revues.org) ; journées d’études des 17 et 18 octobre 2013, L’enseignement des langues et de l’histoire en Allemagne, en Italie et en France (XIXe-XXe siècles), Rome, Ecole française de Rome.

– Prost Antoine (dir.), La formation des maîtres de 1940 à 2010, Rennes, PUR, 2014, 296 p.