Sur la condition des enseignant.e.s du secondaire qui font de la recherche

Le texte ci-dessous a été écrit par Jean-Étienne Dubois (ci-dessous JED) et Viera Rebolledo-Dhuin (VRD). Il n’engage que ses auteur.e.s et non le bureau de l’AHCESR, qui les a toutefois encouragés à l’écrire, après l’envoi sur la liste de discussion de l’association de premiers témoignages, et a souhaité le rendre public afin de lancer le débat.

Une mobilité entre secondaire et université assurée en théorie…

Les textes sont formels, le MEN (Ministère de l’Éducation nationale) assure une grande mobilité à ses agents.

Une simple recherche par un moteur classique nous renvoie à une cellule (“de crise”?) et à une page spécifique, nommée “portail mobilité des enseignants”.

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Et dès 1985, le décret 85-9861 détermine les conditions de mise à disposition et/ou de disponibilité des fonctionnaires nécessaires à cette mobilité.

… mais relativement limitée en pratique

Cependant, en pratique, cette mobilité est relativement plus complexe qu’il n’y paraît et obtenir satisfaction (pour parvenir à poursuivre des activités de recherche) dépend largement du statut des enseignants du secondaire, sinon des différentes académies sollicitées, voire de leurs chefs d’établissements. Plus généralement, les règles sont tellement variables d’une situation à l’autre qu’il est difficile d’éviter les récits personnels pour rendre compte des difficultés rencontrées.

Récit n°1 : Des difficultés pour obtenir un congé de formation pour une thèse et un détachement pour un poste temporaire (ATER, post-doctorat)

J’ai (VRD) d’abord été privée de la possibilité de candidater à un contrat doctoral car les règles avaient malheureusement changé pendant ma deuxième année de concours de l’enseignement secondaire. En effet, l’obtention de mon DEA précédant de deux années mon inscription en thèse, je ne pouvais plus prétendre, comme c’était le cas jusqu’en 2004, à un tel contrat. J’ai donc commencé mon travail de recherche pendant mon année de stage.

J’ai essayé, par la suite, d’obtenir parallèlement un poste d’ATER et un congé de formation. Cela suppose, dans le premier cas, d’obtenir un détachement et donc d’être a priori TZR (titulaire en zone de remplacement) pour être plus mobile. Dans le second cas, au contraire, cela suppose d’être en exercice depuis au moins trois ans en tant que titulaire. En effet, si le MEN accorde un congé de formation de 12 mois dans la carrière (ce qui est peu sur 42 annuités), il est difficile à obtenir en général, et en particulier pour une thèse. Outre les 4 ans effectifs (3+1 année de stage) exigés, il faut souvent faire plusieurs demandes avant d’obtenir satisfaction, sans compter que le barème favorise davantage les candidats à l’agrégation que les doctorants2. Par chance, j’ai obtenu un congé de formation lors de ma deuxième demande, après 5 ans d’exercice, mais pour deux mois seulement. Si, selon les collègues, les syndicats et le ministère, des prolongements de congé de formation sont accessibles les années suivant le premier congé, il est rare que cela soit systématique. Pour ma part, malgré des demandes renouvelées les années suivantes, je n’ai jamais rien obtenu par la suite en dehors de fins de non-recevoir.

Au lendemain de la soutenance de ma thèse, j’obtenais un poste d’ATER, ce qui est rare puisque les postes sont prioritairement, et on le comprendra, destinés aux doctorants. Cependant, le rectorat de Créteil refusa mon détachement et l’Université dut recruter un autre enseignant. Il semblerait qu’une fois intégré dans le système, il soit plus difficile de le quitter. Dès que l’on a « un numéro », nous sommes bloqués. Pour l’anecdote, j’ai vu plusieurs collègues stagiaires obtenir un détachement pour leur contrat doctoral. Or, il m’a fallu plus de 6 semaines pour que je sois détachée d’un collège où j’étais TZR pour parvenir dans un lycée en section Bachibac où les élèves n’avaient pas de professeur depuis la rentrée, pour la simple raison que je devais passer de Créteil à Versailles. Le déblocage ne s’est opéré qu’à force de pétitions quotidiennes et surtout grâce à la publication d’un article dans le Parisien, sollicité par une élève après le marronnier de rentrée : j’ai obtenu l’arrêté de nomination en poste Bachibac au lendemain de la publication de l’article dans le quotidien !

J’ai essuyé plus récemment un nouveau refus de détachement du rectorat de Versailles pour un post-doctorat financé par l’ANR. Ce refus se fondait sur le fait que je venais d’être fixée (après plus de 10 ans d’exercice) sur un poste spécifique et que je demandais mon détachement pour le mois de janvier (afin de répondre au calendrier de l’ANR). Aussi, afin d’obtenir satisfaction pour la rentrée suivante, j’ai été conduite à demander une mutation en ZR ! Autrement dit, on me demandait de retrouver une précarité d’autant plus grande que j’ai, par là-même, « perdu tous mes points » et mes zones d’affectation ZR. Heureusement, l’histoire semble se terminer globalement bien : j’ai obtenu mon détachement. Mais cela ne s’est pas fait sans mal : l’arrêté du rectorat a été annulé le lendemain par le ministère, qui a finalement réédité un nouvel arrêté. Désormais, je ne suis plus rattachée à aucune académie, je n’ai plus accès à l’ENT i-prof et je risque d’être parachutée au gré des besoins lors de ma réintégration dans un an et demi.

Avant, pendant ou après la thèse, il est possible de faire une demande de détachement (et/ou de mise en disponibilité, ce qui est dirimant pour l’avancement) afin d’honorer un contrat doctoral, d’ATER et/ou post-doctoral. Cependant, les « nécessités de service » au sein du MEN semblent aller à l’encontre des demandes pour des postes temporaires dans le MESR. Ce qui est plus étonnant, c’est de s’affronter à de nouveaux obstacles pour des postes définitifs.

Récit n°2: Du refus de détachement après l’obtention d’un poste de PRAG

Docteur depuis décembre 2013, j’ai pour ma part (JED) essuyé un refus du rectorat de Lyon, dans lequel je venais de muter pour la rentrée 2015, de m’affecter sur un poste de PRAG d’histoire en IUT à Besançon, en arguant des nécessités de service de l’enseignement secondaire. L’Université de Franche-Comté a donc recruté le candidat qui avait été classé deuxième, et qui était déjà enseignant du secondaire dans l’académie de Besançon. La discrimination entre enseignants est donc flagrante selon leur académie d’affectation. La chose n’est pas nouvelle, mais pose bien la question des liens entre administration du secondaire et du supérieur, pourtant unis au sein d’un même ministère : quelle logique y a-t-il à proposer sur Galaxie des postes spécifiquement destinés aux enseignants du secondaire, PRAG ou PRCE, si les rectorats peuvent refuser, au terme de la procédure de recrutement, de les détacher ?

La mobilité des agents prônée et affichée par le MEN sur son site s’échoue donc trop souvent en pratique sur des barrières et chicanes administratives, comme en témoigne la pétition suivante (relativement peu suivie au demeurant) : https://www.change.org/p/minist%C3%A8re-de-l-%C3%A9ducation-nationale-de-l-enseignement-sup%C3%A9rieur-et-de-la-recherche-pour-une-reconnaissance-des-chercheurs-dans-l-enseignement-secondaire. Autrement dit, il semblerait qu’il y ait une fracture entre le MEN et le MESR et ce, au détriment des jeunes chercheurs.

Généralisation : quelles relations entre le MEN et le MESR ? Pour un développement harmonieux du MENESR

Paradoxalement, pour « réussir sa mobilité » selon l’injonction ministérielle, le mieux est bien souvent de ne pas vouloir être mobile, au regard des discriminations liées :
1) au statut de l’agent : en effet, les rectorats accordent plus ou moins facilement des détachements selon que l’on est encore stagiaire, ou TZR ou non : la chose devient beaucoup plus compliquée une fois que l’on a obtenu un poste fixe. La logique pousse donc les enseignants qui souhaiteraient continuer la recherche à rester TZR, au détriment de l’investissement dans l’enseignement et au profit d’une instabilité professionnelle peu propice à l’organisation de son temps de travail (qui dépend largement de la bonne volonté des chefs d’établissements, qui peuvent être réticents à nos activités « parallèles ») sur le long terme pour laisser une place aux activités de recherche.

2) à l’académie d’affectation à qui l’on demande des détachements vers l’enseignement supérieur : il est connu que certains rectorats, notamment en Île-de-France, opposent des fins de non-recevoir presque systématiques aux enseignants demandant un détachement pour des activités de recherche ou un poste d’ATER.

3) aux changements de statuts administratifs en cas de va-et-vient entre enseignement secondaire et monde de la recherche. En effet, en fonction du type de détachement demandé, on peut voir son avancement gelé (c’est le cas pour une mise en non-activité pour raison d’études d’intérêts professionnels, généralement le temps d’un contrat doctoral), ou verser ses cotisations retraites à la caisse du régime général (moins avantageuse que celle de l’Éducation nationale). De plus, en cas de détachement, on perd systématiquement son affectation dans l’enseignement secondaire, ainsi que les points éventuels liés à l’ancienneté dans le métier. À la fin du détachement, il faut donc repasser par le jeu très aléatoire des mutations, donc être confronté à une instabilité professionnelle bien plus grande que si l’on n’avait pas voulu mener d’activité de recherche.

Bref, quand un enseignant du secondaire veut commencer, ou continuer, des activités de recherche, rien n’est fait, du côté de l’administration, pour l’accompagner dans cette voie ; bien au contraire, il doit le faire au prix d’une instabilité professionnelle souvent stressante et chronophage.

Depuis 2008, les ministres et secrétaires d’Etat successifs de l’Enseignement supérieur annoncent leur ferme volonté de valoriser le diplôme de doctorat, et notamment d’ouvrir des voies d’accès à la haute fonction publique, en particulier à l’ENA. Ce souhait maintes fois exprimé est encore lettre morte3. Mais au-delà de ce symbole et du faible nombre de docteurs qui seront concernés par cette mesure, nous aimerions suggérer aux tutelles ministérielles du MENESR de s’intéresser d’abord à la prise en compte des spécificités des docteurs et doctorants certifiés ou agrégés, bien plus nombreux, et qui voient trop souvent leur désir de mobilité entre les deux « mondes » du secondaire et du supérieur entravé à tous les niveaux, des chefs d’établissement au recteur, faute de directives nationales claires établissant leurs droits à enseigner pour l’un ou l’autre « monde », ou à un accès simplifié aux congés de recherche.

Nous voudrions ainsi suggérer les mesures suivantes, qui ne doivent pas apparaître comme des passe-droits vis-à-vis des collègues du secondaire non-chercheurs, mais comme des mesures simples qui aideraient les enseignants qui le souhaitent à rendre réel le vœu si souvent formulé d’un renforcement des liens entre enseignement secondaire et recherche :

  • autoriser les services d’enseignements partagés entre secondaire et supérieur, sans être obligé d’assurer des charges de cours dans le supérieur uniquement en heures supplémentaires, au détriment du temps de préparation à disposition des enseignants pour préparer leurs cours et assurer leurs corrections sur les deux tableaux ;

  • accorder aux chercheurs enseignants du secondaire un quota d’absences de droit, dans leurs établissements, pour participer à des manifestations scientifiques (si ce n’est aux campagnes de recrutement à l’étranger) sans devoir rattraper leurs cours ;

  • favoriser les demandes de congés formation pour la recherche des doctorants et des docteurs ;

  • accepter qu’un agent du secondaire puisse être détaché sur une période limitée en vue d’effectuer une mission de recherche clairement définie (projet ANR), sans perdre automatiquement son poste dans le secondaire et retomber ainsi dans une forme de précarité qui n’incite pas à continuer les activités de recherche.

2 70 points pour une formation dans la même discipline, 10 points pour une autre discipline ou hors Éducation nationale (i.e. enseignement secondaire, il y a là une disjonction entre le MEN et le MESR), 30 points supplémentaires à chaque nouvelle demande à partir de la deuxième, etc. Voir http://www.ac-versailles.fr/public/upload/docs/binary/octet-stream/2014-12/circulaire_conge_formation_pro_2nd-degre_2015-2016_annexe1_conditions.pdf