Histoire contemporaine et question laïque
À la suite des journées tragiques qui se sont déroulées depuis le 7 janvier et du large mouvement de protestation et de mobilisation qu’elles ont suscité, il apparaît que les enseignants et les chercheurs, notamment dans le domaine de l’histoire contemporaine, sont à même d’apporter leur contribution aux débats, non seulement à court terme, mais dans le cadre de réflexions moins immédiates. Le bureau de l’AHCESR a déjà pris fermement position à la suite des assassinats du 7 janvier. Il souhaite, sans se dissimuler les difficultés et en étant conscient de la complexité de la situation, mettre l’accent sur un certain nombre d’enjeux, que masquent parfois différentes formes de présentisme.
Au titre de l’inscription dans la durée, il est question de valeurs fondatrices, relevant de l’héritage de la Révolution française et d’un patrimoine républicain correspondant aux lois qui se sont succédé, afin de garantir la liberté d’opinion, d’expression et de réunion, ainsi que la laïcité. Ce terme, apparu en français au début des années 1870, qui revient souvent dans les débats de ces derniers jours, correspond à l’une des pierres angulaires de la République.
Depuis la fin du XIXe siècle, plusieurs conceptions ont été formulées, mais c’est la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat qui en définit le cadre institutionnel. Il reste que depuis plus d’un siècle, le paysage politique, culturel et religieux a sensiblement évolué. La laïcité ne peut, bien évidemment, être perçue de manière univoque, mais elle doit constituer pour tous une garantie et un rempart. Encore faut-il rendre compte des diversités. Sur un mode historique, la connaissance, non seulement des conflits contemporains, mais des affrontements qui ont eu lieu auparavant, permet de mettre en perspective les apports de la laïcité, qu’ont étudiés bien des spécialistes.
Ces problématiques sont liées aux enjeux de la transmission, auxquels les milieux de l’éducation sont attentifs, à travers les programmes scolaires et les considérations sur l’éducation civique et morale. Il paraît difficile de se limiter au registre de l’objurgation et de l’inculcation. Comme l’histoire, d’autres disciplines, telles que la sociologie et la science politique, tout en conservant leurs propres méthodes, peuvent s’interroger sur les moyens de rendre accessibles les significations d’une laïcité respectueuse de la liberté de conscience et de la liberté du culte, mais qui n’entend pas se voir imposer de censure ou d’autocensure.
C’est pourquoi la connaissance des débats sur la citoyenneté, la République et la démocratie, termes sur lesquels repose la présente question de concours d’histoire moderne et contemporaine, pour la période allant de 1789 à 1899, que l’on peut évidemment prolonger dans le domaine de l’enseignement, permet de prendre la mesure des données historiques et de l’héritage qui leur est associé, non dans un esprit triomphaliste ou un dessein téléologique, mais afin de faire la part des principes, des adhésions, des mobilisations, des refus (n’a-t-on pas longtemps affirmé la supériorité, dans des milieux traditionalistes, des « droits de Dieu » sur les droits de l’homme et du citoyen ?) et des évolutions.
Le rôle des exclusions sociales et culturelles, les modalités d’un suffrage qui n’est véritablement devenu universel qu’à compter de 1944, le sort subordonné de ce qui fut l’empire colonial et le caractère inégal du respect des principes républicains, ainsi que le poids des enjeux internationaux et transnationaux, ne doivent pas être sous-estimés, si l’on veut comprendre ce qu’ont été les trajectoires, les points d’aboutissement et les imperfections. A cet égard, il importe d’aborder la question de la représentation politique, sociale et culturelle dans une perspective de longue durée, y compris en termes de genre, d’âge et d’origines. De même, il est nécessaire de s’interroger sur les rapports entre la spécificité française, les principes reconnus à l’échelle de l’Europe et les normes internationales, notamment sur le plan juridique, en termes de droits humains.
Ainsi considéré, le corpus des références et des textes fondateurs est évidemment de très grande ampleur. Sans doute la multiplication des travaux, qu’ils relèvent de l’histoire, d’autres disciplines ou soient conçus dans une perspective interdisciplinaire, favorise-t-elle de nombreux éclairages. Il convient, sans méconnaître les difficultés de cette tâche, de trouver les voies et les moyens, en termes de formation et dans l’enseignement primaire et secondaire, selon des modalités adéquates, d’une pédagogie de la tolérance et des droits humains. Pour ce faire, on peut réfléchir à l’utilisation de sources documentaires et à l’analyse critique des images et de leurs usages.
Il reste que le recours à un nouveau « roman national » dans lequel seraient insérées des figures de la laïcité et de l’esprit républicain ne va pas de soi, alors que se multiplient interrogations et interactions avec des données associées au temps présent et que les frontières entre sphères publiques et privées sont parfois différemment perçues. Toujours est-il que l’esprit critique doit être autant qu’il est possible éveillé et sollicité.
Le bureau de l’AHCESR invite non seulement ses adhérents, mais ses collègues historiens, voire ceux d’autres disciplines, à prendre part à des débats qui, inévitablement, sont appelés à se prolonger. Il souligne l’importance de la redécouverte critique et de la mise en évidence d’un patrimoine façonné par les réflexions, les controverses et les combats qui ont jalonné l’histoire, non seulement de la France, mais du monde contemporain.
Jean El Gammal et les membres du bureau de l’AHCESR : Julie d’Andurain, Jean-Claude Caron, Noëlline Castagnez, Carole Christen, Claire Lemercier, Clément Thibaud.