Historiographies politiques française et italienne – journée d’études de l’AHCESR à la villa Finaly, 11 avril 2014
La journée d’études du 11 avril 2014 à la villa Finaly à Florence, organisée par l’AHCESR avec la collaboration de deux de nos homologues – la Société des Italianistes de l’enseignement supérieur et la Società Italiana per lo Studio della Storia Contemporanea -, avait pour thème : « Historiographies politiques française et italienne XIXe-XXe siècles ». Elle s’est déroulée dans de fort bonnes conditions, avec l’accueil chaleureux de Mme Brigitte Cedolin, directrice de la villa Finaly. Les deux points forts de cette journée : elle a d’une part permis de nouer des contacts avec la Société italienne des historiens contemporanéistes, contacts que nous espérons voir se consolider. D’autre part, les communications ont fait un point précis fort utile sur l’historiographie actuelle et la comparaison entre les deux pays a nourri les discussions. Frédéric Attal et Michel Leymarie se chargent de rassembler les communications écrites pour les rendre accessibles dès que possible.
Journée d’études franco-italienne le 11 avril 2014, villa Finaly, Florence
Historiographies politiques française et italienne. Regards croisés (XIXe-XXe siècles)
Journée organisée par l’Association des historiens contemporanéistes de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (AHCESR), avec la participation de la Société des Italianistes de l’enseignement supérieur et de la Società Italiana per lo Studio della Storia Contemporanea. Via Bolognese, 134/r, 50139 Firenze, Italie
En Italie comme ailleurs en Europe, la France révolutionnaire a suscité engouements, commentaires, hostilités et travaux historiques, des poètes Alfieri, Foscolo ou Monti au prêtre Gioberti, en passant par l’historien napolitain Cuoco et d’autres observateurs engagés de la vie politique et culturelle française et italienne. Le romantisme français, Stendhal en tête, ne fut pas en reste pour tout ce qui pouvait toucher à l’Italie.
Cette double tradition plus que bicentenaire d’intérêt aussi bien affectif que scientifique pour le voisin transalpin mérite que l’on s’arrête périodiquement sur ses fruits historiographiques. Leur importance quantitative suppose le choix d’une approche problématique et l’adoption d’une scansion chronologique classique qui fait alterner un demi-siècle d’histoire politique et culturelle italienne sur la France, et française sur l’Italie: la premier XIXe siècle romantique et prérisorgimental, le Risorgimento, la période libérale et la République française, les années sombres du fascisme et du régime de Vichy, la naissance conjointe de Républiques non dissemblables, avant que la Ve République ne suscite interrogations et travaux en Italie, comparables en nombre et en qualité à ceux que la longue crise italienne a pu inspirer en France.
Programme (voir en bas de page les résumés des interventions)
9h00 : ouverture des travaux. Mot de bienvenue et présentation par Michel Leymarie (Université Charles-de-Gaulle Lille3, secrétaire général de l’Association des Historiens contemporanéistes de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, AHCESR).
La tradition des études françaises sur l’Italie et italiennes sur la France par Frédéric Attal (ENS de Cachan)
Matinée
Présidence : Luigi Mascilli Migliorini (Université de Naples-L’Orientale)
9h30 : Cristina Cassina (Université de Pise) : Les historiens italiens devant le court dix-neuvième siècle
9h55 : Michela Nacci (Université de L’Aquila) : Foules folles. De Gustave Le Bon au cyberspace
10h20 : Jean-Yves Frétigné (Université de Rouen) : L’historiographie française sur le Risorgimento et l’Italie libérale
Discussion.
11h15 : pause
Présidence : Nadine Vivier (Université du Mans, présidente de l’AHCESR)
11h30 : Valeria Galimi (Université de la Tuscia, Viterbe) : La France de la fin du XIXe siècle à Vichy : le regard des historiens italiens
11h55 : Olivier Forlin (Université de Grenoble II) : L’historiographie française du fascisme et de l’antifascisme
12h20 : discussion
13h00 : déjeuner
Après-midi
Présidence : Maurizio Ridolfi (Université de la Tuscia, Viterbe)
14h30 : Marco Gervasoni (Université du Molise, vice-président de la Società Italiana per lo Studio della Storia Contemporanea, SISSCO) : La France des années sombres dans l’historiographie italienne
14h55 : Sandro Guerrieri (Université de Rome-La Sapienza) : La IVe République : un miroir pour la République italienne
15h20 : Frédéric Attal (ENS de Cachan) : Les études françaises sur l’Italie de la Libération au milieu des années soixante
15h45 : Discussion
16h15 : Pause
Présidence : Fulvio Conti (Université de Florence)
16h30 : Lucia Bonfreschi (IMT Lucques) : La France sous la Ve République dans les études italiennes
16h55 : Alessandro Giacone (Université de Grenoble III). Les crises italiennes vues de France, des années soixante à nos jours
17h20 : Discussion
17h45 : Conclusions par Nadine Vivier (Présidente de l’AHCESR) et Barbara Meazzi (Présidente de la Société des Italianistes de l’enseignement supérieur).
18h : Fin des travaux.
Résumés
Cristina Cassina, « Les historiens italiens devant le court dix-neuvième siècle »
Même en se limitant au premier XIXe siècle – j’entends par là la période qui va de la Restauration à 1848 – l’intérêt des historiens italiens pour la France démontre une remarquable prédilection pour les aspects politiques. Dans cet océan historiographique, j’ai choisi de me focaliser sur deux aspects : la fin du magistère des anciens et la naissance d’une pensée critique sur le politique. Je me propose ainsi, en forçant peut-être le trait, de rendre compte de plusieurs apports de travaux conduits ces trente dernières années.
Michela Nacci, « Foules folles. De Gustave Le Bon au cyberspace »
Cette intervention examinera la psychologie collective (soit la psychologie des foules soit la psychologie du public) dans la France de la fin du XIXe siècle et dans des exemples récents (études sur le cyberspace et les réseaux, analyses socio-politiques des formes du collectif aujourd’hui). Nous analyserons la lecture et les réactions qui ont été produites sur ce sujet par l’historiographie italienne dès l’école de criminologie positive (entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle) jusqu’à l’historiographie contemporaine. Nous nous arrêterons d’abord sur l’historiographie contemporaine à la première époque de la psychologie collective (Lombroso et l’école italienne) tissue de polémiques et de revendications de priorité, puis sur l’historiographie des dernières années, et nous essayerons de confronter les interprétations données par les deux pays sur le même phénomène.
Jean-Yves Frétigné, « L’historiographie française sur le Risorgimento et l’Italie libérale »
Depuis les années 1970, l’historiographie française consacrée au Risorgimento et à l’Italie libérale s’est considérablement enrichie. Nous nous proposons d’en décrire les principales lignes de force et d’en proposer une explication plurielle qui rende compte des échanges intellectuels entre les chercheurs des deux pays, de l’évolution des « modes » historiographiques, sans oublier les logiques institutionnelles.
Valeria Galimi, « La France de la fin du XIXe siècle à Vichy : le regard des historiens italiens »
La période qui va de la Belle Epoque à la fin de la IIIe République semble avoir été plutôt négligée par l’historiographie italienne sur la France. Mais à y voir de plus près, quelques moments de cette période ont été au centre de l’intérêt des historiens italiens : d’abord le « moment Dreyfus » et sa réception en Italie ; le Front populaire ; quelques aspects de l’histoire du socialisme et du mouvement ouvrier, et le débat sur le fascisme français et sur la crise de la démocratie. Seront aussi examinés la réception du renouvellement des recherches portant sur la Première Guerre mondiale (notamment par l’Ecole de Péronne), ainsi que celles de l’ouvrage de Sternhell, Ni droite ni gauche. Enfin, il sera pris en compte le « transfert culturel » des jeunes chercheurs italiens qui sont venus en France pour compléter leurs études avec une thèse de doctorat.
Olivier Forlin, « L’historiographie française du fascisme et de l’antifascisme »
Depuis les années 1980, l’historiographie française du fascisme a été très marquée par les travaux de Renzo De Felice, puis par ceux d’Emilio Gentile. De fait, les historiens français privilégient une approche du fascisme par les sphères politique et culturelle. La question du consensus, les dimensions révolutionnaire et totalitaire du fascisme sont considérées comme des acquis dans leur réflexion. Les champs d’étude en sont déterminés : ils concernent la violence comme produit d’un système totalitaire (exclusion des juifs) ; les mécanismes de la dictature (notamment les relations entre les divers centres du pouvoir) ; l’idéologie et la culture (les intellectuels, l’éducation, la langue, le sport) ; la politique extérieure (les relations franco-italiennes et la colonisation). S’inscrivant dans le cadre des études sur l’immigration italienne en France, les travaux sur l’antifascisme sont souvent envisagés dans leur incidence sur les relations diplomatiques franco-italiennes.
Marco Gervasoni, « La France des années sombres dans l’historiographie italienne »
L’historiographie italienne s’est davantage intéressée à Vichy qu’à la Résistance, qu’elle soit gaulliste ou communiste. Tandis que plusieurs monographies sur l’expérience de l’État français ont été publiées à partir de 1980, rien ou presque n’existe sur le reste. La raison en est que Vichy constitue un problème historiographique : en raison de son rapport avec le fascisme ; parce que c’est un régime fondé sur l’autorité et le culte du chef ; pour son statut ambigu, ni collaborationniste, ni antifasciste, mais en son sein, des éléments appartement à l’un et à l’autre, qu’ils soient apparents ou cachés. Ces caractéristiques ont stimulé l’attention des historiens italiens dans une série de travaux qui, dans certains cas, ont même anticipé des recherches menées par des chercheurs français.
Sandro Guerrieri, « La IVe République : un miroir pour la République italienne »
La IVe République a été, sous de nombreux aspects, le régime politique le plus proche de la première phase de la République italienne. Les analogies entre les expériences constituantes respectives furent nombreuses : les principaux maîtres d’œuvre de la Loi fondamentale furent les trois partis de masse qui se sont affirmés après la Libération. Et dans le fonctionnement de la IVe République, se manifestèrent des anomalies qui anticipèrent des problèmes que l’Italie connaîtrait peu après. L’historiographie italienne a ainsi analysé cette expérience historique mue par un intérêt, explicite dans le cas de travaux comparatistes ou implicite pour les études centrées, à l’inverse seulement, sur le cas français, pour le jeu des analogies et des différences entre les deux Républiques, suivant un large spectre thématique : la genèse du pacte constitutionnel, la réforme de l’administration publique, le système des partis et ses facteurs de crise, la nomination, constitution et politique des gouvernements.
Frédéric Attal, « Les études françaises sur l’Italie de la Libération au milieu des années soixante »
Le renouveau de l’histoire politique en France a coïncidé avec le retour des études historiques françaises en Italie, notamment sous la direction de Pierre Milza et de Philippe Levillain. Partis politiques, intellectuels et phénomènes culturels italiens ont fait l’objet de mémoires de recherche, de thèses et d’ouvrages qui ont su adapter à la péninsule une thématique et des méthodes théorisées dans l’ouvrage collectif sous la direction de René Rémond, Pour une histoire politique. La « génération » formée par les deux universitaires a élargi le champ d’enquêtes à l’histoire sociale, au sens large du vocable, non sans rester toujours attentive aux aspects politiques de cette histoire.
Lucia Bonfreschi, « La France sous la Ve République dans les études italiennes »
L’historiographie italienne commence à s’occuper de la France de la Ve République dès les années 80. Pourtant, il faut attendre la décennie successive pour voir fleurir des recherches originales sur cette République, qui, étant perçue presque comme « sans partis », n’attire pas tellement l’attention de la « nouvelle » historiographie italienne, recentrée sur les partis et les systèmes politiques. Dès le milieu des années 90, l’historiographie italienne est de plus en plus passionnée par l’histoire politique de la France. La figure de De Gaulle, sa politique étrangère, les institutions fondées par lui attirent en premier, mais on voit se poursuivre des recherches sur le socialisme français aussi. Depuis une dizaine d’années, la recherche italienne a pris plusieurs directions, parfois encore peu explorées par son homologue française, telles que les cultures politiques, les relations entre politique et médias, la politique étrangère des partis français, la vie intellectuelle.
Alessandro Giacone, « Les crises italiennes vues de France, des années soixante à nos jours »
Cette communication portera sur le panorama historiographique français sur l’Italie contemporaine des années 1960 à nos jours. Il n’existe pas, à proprement parler, une école française travaillant spécifiquement sur le sujet, mais des chercheurs ayant des centres d’intérêt commun, comme les rapports entre politique et magistrature, la lutte contre le terrorisme et la mafia, le rôle des institutions politiques, le phénomène/anomalie Berlusconi, etc… Seront également mis en évidence l’influence de certains historiens dans le débat sur l’Italie contemporaine (Pierre Milza, Marc Lazar, Fabrice D’Almeida, Marie-Anne Matard-Bonucci, Hervé Rayner, Frédéric Attal, Antoine Vauchez) ainsi que le rôle de quelques centres spécialisés sur l’Italie (le GREPIC et le GRIC à Sciences-Po, le département d’histoire de l’ENS, l’Ecole française de Rome, le GERCI/CRHIPA à Grenoble…)