Sociétés coloniales : exposé d’Armelle Enders
Le 24 mai 2012, à Créteil, l’AHCESR a participé à l’organisation d’une journée « Sociétés coloniales » en lien avec le nouveau programme de CAPES, avec Thierry Bonzon (Marne-la-Vallée, équipe ACP), Rémi Fabre (UPEC, laboratoire CRHEC) et Marie-Albane de Suremain (UPEC et laboratoire SEDET). Nous avons le plaisir de vous donner à lire ici les textes des intervenants.
Les enregistrements audio de leurs interventions peuvent également être écoutés sur le site du Centre de recherche en histoire européenne de l’UPEC.
Armelle Enders est maître de conférence en histoire contemporaine à Paris-Sorbonne, Centre de recherche en histoire du XIXe siècle.
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Trafic d’esclaves et de travailleurs dans les colonies portugaises dans la seconde moitié du XIXe siècle
Le Portugal a été au centre de plusieurs scandales touchant l’esclavage et le travail forcé au cours du XIXe siècle : longue persistance de la traite (1836) et de l’esclavage (1878), participation à la traite clandestine et à la traite déguisée, dénonciations de David Livingstone contre les Portugais de la côte mozambicaine dans les années 1860, pour complicité active avec les négriers, scandales autour du travail forcé à São Tomé… Les accusations, provenant surtout de la Grande-Bretagne, ne sont pas entièrement désintéressées et viennent à l’appui des différents projets de partage des colonies portugaises que nourrissent plusieurs puissances européennes. Elles ne sont pas sans fondement et illustrent l’ampleur des bouleversements liées à la lutte contre la traite négrière dans la seconde moitié du XIXe siècle.L’année 1850 correspond à un tournant majeur pour l’espace atlantique et les sociétés coloniales : le Brésil, indépendant politiquement depuis 1822, met effectivement un terme à l’importation d’esclaves africains. Pendant les trois siècles qu’a duré la traite négrière transatlantique (du XVIe siècle à 1850), le Brésil a reçu 4 millions de captifs, soit près d’un tiers du total (11 millions). Le trafic a été particulièrement intense dans la première moitié du XIXe siècle (1,7 million d’esclaves entrés au Brésil entre 1800 et 1850). La traite transatlantique continue cependant après 1850 et dure jusque vers 1870, essentiellement à destination de Cuba (200 000 captifs encore exportés vers les Amériques entre 1850 et 1870).
La fin de la traite à destination du Brésil a cependant des conséquences multiples :
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elle achève de dissocier le Brésil de sa « mine d’esclaves », l’Angola. Pour le Portugal, un nouvel horizon s’impose. Il s’agit de convertir la frange littorale contrôlée par les Portugais en un « nouveau Brésil » (avec un peuplement portugais et des plantations), mais la politique lancée en ce sens par le ministre Sá da Bandeira en 1851 bute sur le manque de moyens. L’Afrique tropicale n’attire pas les migrants, les investissements sont insuffisants, la faiblesse du Portugal freine son expansion territoriale et le gouvernement portugais n’arrive pas à imposer une abolition effective de l’esclavage en 1854. Mais, désormais, l’horizon impérial du Portugal est l’Afrique, le pilier du « troisième Empire » (après l’Orient et le Brésil).
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Pour les trafiquants d’esclaves et leurs fournisseurs africains, la fin du débouché brésilien oblige à des reconversions. La traite continue, déguisée en « engagisme », entre la côte mozambicaine et la Réunion, par exemple. Elle se dirige aussi vers les îles de São Tomé et Príncipe.
São Tomé et Príncipe : le développement de plantations esclavagistes dans la seconde moitié du XIXe siècle
Contre toute attente, le « nouveau Brésil » se situe, dans la seconde moitié du XIXe siècle, à São Tomé et Príncipe, qui ont servi longtemps d’entrepôts d’esclaves, entre l’Afrique et l’Amérique. Le baron de Agua-Izé, un négrier installé à Luanda, mais originaire de Príncipe, développe à São Tomé des plantations de café à la fin des années 1840 et fait école. En quelques années, l’île se couvre de plantations, désormais possédées par des Européens ou des compagnies européennes, et devient la destination d’esclaves en provenance d’Angola, mais aussi du Gabon, voire du Mozambique (20 000 travailleurs mozambicains expédiés à São Tomé dans les années 1910), puis de « travailleurs sous contrat », venus du continent, de l’archipel du Cap-Vert, et même de coolies chinois. Dans les années 1890, le caco remplace le café et São Tomé devient le premier producteur de cacao au monde, fournissant notamment Cadbury, une entreprise quaker. Vers 1900, les conditions d’embauche et de vie des « travailleurs sous contrat » sont dénoncées comme une forme d’esclavage déguisé par des associations philanthropiques britanniques. L’âge d’or de São Tome s’achève vers 1920, quand de nouveaux grands producteurs de cacao (la Gold Coast, le Brésil) l’éclipse.
[il existe un roman récent (2003), traduit en français, du journaliste Miguel Sousa Tavares, à propos du scandale de São Tomé, vers 1905. Equador, Paris, Seuil, « Points », 2005. On signalera aussi que la chanson la plus célèbre de Cesária Evora, Sodade, évoque les Cap-Verdiens envoyés, sous la contrainte, travailler dans les plantations de São Tomé]
Macao, port du Coolie Trade
Le déclin de la traite négrière transatlantique, les abolitions de l’esclavage dans l’espace caraïbe, l’essor des plantations esclavagistes cubaines, ont aussi ouvert la voie commerce des coolies, indiens ou chinois. À Cuba, où l’esclavage des Africains dure jusqu’en 1886, les planteurs font appel, à partir de 1847, à l’importation de travailleurs chinois, presque tous embarqués à Macao. La « Ville du Saint Nom de Dieu de Macao » est une implantation portugaise depuis 1573, située sur une péninsule dans l’embouchure de la Rivière des Perles. Seul port accessible aux Européens dans l’Empire chinois, Macao s’est développé depuis les années 1780 autour du commerce de l’opium à destination de la Chine. Face à la concurrence de Hong Kong, à partir des années 1840, la ville se reconvertit dans les jeux et dans le coolie trade. Entre 1845 et 1873, l’année de l’interdiction du coolie trade, 500 000 Chinois partent ainsi pour les Amériques, dont 120 000 par le port de Macao.
Le premier « chargement » part de Macao en 1851 à bord d’un bateau français. Le coolie trade procure des profits juteux. Différentes maisons s’installent à Macao et envoient leurs agents recruteurs dans les provinces chinoises toutes proches. À partir de 1853, l’émigration est supervisée par le gouvernement de la colonie, qui édicte divers règlements pour encadrer le trafic. En 1860 est créée la Super intendance de l’immigration chinoise. Les candidats à la migration signent un engagement de 8 ans au terme desquels ils retrouvent leur liberté par rapport à leur employeur. Malgré les inspections et les assurances données par les autorités portugaises, bien des migrants ignorent ce à quoi ils s’engagent ou sont parfois embarqués de force.
Les Chinois qui partent de Macao se retrouvent principalement à Cuba, où ils sont fort mal traités. Cinq voyages (sur plus de 400) donnent lieu à des mutineries, comme celle, en 1870, du bateau français La nouvelle Pénélope, dont l’équipage est jeté à l’eau. Capturés sur intervention du consul de France, les coolies sont décapités en place publique. Cet épisode alimente les campagnes de plus en plus nombreuses contre le Coolie Trade.
Le consul portugais nommé à La Havane à la fin de 1872, le romancier Jose Maria Eça de Queiroz, prend fait et cause pour les 100 000 Chinois Macao de l’île et informe abondamment sa hiérarchie de la situation inique dans laquelle ils se trouvent : non respect des contrats, mépris des droits élémentaires, conditions de vie scandaleuses, suicides nombreux, servitude sans fin, toute puissance et impunité des planteurs. Eça de Queiroz souhaitait que le Portugal puisse protéger ses « sujets » chinois à Cuba et qu’une convention entre le Portugal et l’Espagne soit signée à cette fin, mais, en 1873, le Coolie Trade est interdit par les Britannique, puis par les Portugais.
À ces deux exemples, il faudrait ajouter l’exportation constante, tout au long du XXe siècle, de travailleurs mozambicains à destination des mines d’or du Transvaal, à la suite d’un accord entre la Witwatersrand Native Labour Association et la colonie du Mozambique qui percevait une taxe par sur chaque ouvrier envoyé à Johannesbourg. Cet accord
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